Avec Alpha Abidjan - Gare du Nord, Bessora et Barroux nous font vivre le voyage semé de difficultés et de désillusions d'un candidat à l'émigation.
"Mon nom c'est Alpha, comme Alpha Blondy, le chanteur."
Alpha est ivoirien. Sa belle-soeur a un petit salon de coiffure à Paris, à côté de la Gare du Nord, mais ça fait longtemps qu'il n'a pas eu de ses nouvelles. Sa femme et son fils sont partis la rejoindre, là-bas en France, clandestinement. Il n'a pas de nouvelles d'eux non plus depuis leur départ.
Alors, puisque plus rien ne le retient, que ça ne peut pas être pire ailleurs, peut-être même un peu mieux, et parce qu'il espère de tout son coeur rejoindre sa famille, Alpha quitte Abidjan. Direction Gare du Nord.
À travers un récit à la première personne, le lecteur suit le voyage incertain d'Alpha. En vendant son entreprise, il réunit assez d'argent pour partir jusqu'au Mali. Il va ainsi vivre dans des petites villes et des camps miteux, essayant de gagner de quoi continuer son périple avec quelques petits boulots illégaux. Parcourir une partie de l'Afrique en ne sachant jamais combien de temps il devrait patienter avant de repartir à chacune de ses étapes. Mais il garde espoir. Sa femme et son fils l'attendent à Gare du Nord. Ou peut-être même les retrouvera-t'il dans une des villes, un des pays où il s'arrête.
"Cinq ou six ans de voyage, c'est toujours mieux que de pourrir ici."
Alpha Abidjan - Gare du Nord est un récit dur mais jamais larmoyant. Bien au contraire, Alpha continue d'avancer, contre vents et marées, même en vivant des épreuves particulièrement difficiles. Il raconte son parcours en regardant toujours vers l'avant, mais sans oublier de s'attacher aux gens qui croisent sa route. D'autres clandestins qui ont tout quitté dans l'espoir d'un avenir meilleur.
Bessora nous raconte bien plus que ce que les JT donnent à voir sur l'immigration clandestine. Le voyage d'Alpha ressemble à beaucoup d'autres. Même sans perdre des yeux son but, les mois passent pendant qu'il se rapproche à pas de fourmis de son objectif, et les dangers, les drames, s'accumulent sur sa route.
L'écriture est sincère et touchante, et le dessin à la fois naïf et fort de Barroux lui donne vie avec pudeur et simplicité. En s'attachant à des visages, des détails, Alpha Abidjan - Gare du Nord est comme un carnet de voyage un peu à part. Un voyage où il s'agit de survivre et non de découvrir, visiter.
Entre la bd et le livre illustré, le titre est composé de deux grandes illustrations par pages, comme légendées par le regard d'Alpha sur tout ce qui se passe. Le fait que les personnages ne parlent pas permet de proposer un récit vraiment intime, en donnant uniquement la parole au héros. Mais cela ne permet pas de vraiment faire connaissance avec ceux qui croisent son chemin. Du coup il y a quelques moments où l'on se perd un peu sur le rôle de certains. Pour autant, Alpha est conscient qu'il ne doit pas trop s'attacher ni aux lieux ni aux gens, cette narration provoque le même détachement chez le lecteur.
Si ce livre est une fiction, elle est ancrée dans le réel. Une réalité violente, où les illusions meurent les unes après les autres. Un regard plein d'humanité sur les candidats à l'émigration, et sur ce qu'ils endurent dans l'espoir de jours meilleurs.