Après avoir végété en Italie, le couple Charlotte de Belgique et Maximilien de Habsbourg s’installent en tant qu’empereurs du Mexique sur la recommandation de Napoléon III. En 1864, dans un pays en pleine tourmente, ces colons endimanchés détonnent parmi les indépendantistes, les religieux et les mercenaires qui se partagent déjà la péninsule.
Fille du roi de Belgique, la jeune et ambitieuse princesse va se retrouver empêchée par tous ceux qui l’entourent jusqu’à sa perte. Charlotte, qui se rêve en alter-ego de sa belle-sœur Sissi —laquelle trouvera le moyen de la terroriser à vie en un instant — va se retrouver de plus en plus isolée. Seule, elle l’est depuis longtemps, bien avant son isolement mexicain, et a du mal à faire confiance aux autres alors que les trahisons s’enchaînent. Et la fuite dans le Nouveau Monde ne va pas arranger les choses.
Un autre regard
Chaque première case, de chaque album, est un œil. Les auteurs ouvrent même le premier volume sur l’œil de Charlotte avant de nous donner à voir son point de vue sur la suivante. Ce récit sera celui de l’héroïne et ce que nous y verrons en sera le reflet, semble dire cette introduction très graphique.
Une réflexion politique qui bénéficie du regard naïf de la princesse qui n’a que 16 ans lors de son mariage et qui découvre les complots & intrigues de la cour et la brutalité de ce système monarchique derrière les étoffes, carrosses et palais. Dans ses yeux, on lira la brutalité des réalités qui s’affrontent, entre le faste royal et la misère la plus totale ; elle fera l’expérience des guerres des monarchies européennes, entre alliances et trahisons, puis le partage des colonies du Nouveau Monde entre grandes puissances…
Fabien Nury & Matthieu Bonhomme proposent cette histoire du point de vue de la jeune femme, à travers ses yeux ou à travers sa correspondance. Graphiquement les lettres de la jeune femme prennent place dans les planches, offrant aux lecteur.trice.s une narration parallèle. Si Fabien Nury a utilisé la véritable correspondance de Charlotte pour écrire son scénario, les lettres qui nous sont proposées font écho aux dessins en vis-à-vis qui racontent une autre histoire. En jouant avec cette dualité, les auteurs soulignent le double discours de la réalité et la fiction de leur propre série, une série historique qui n’est pas à prendre au pied de la lettre.
Le Songe d’une vie contrariée
Ses souvenirs et lettres guident chacun des 4 actes et pour ce 3e volume une nouvelle donne s’ajoute à l’équation : celle de la légende locale qui ajoute un nouveau niveau de lecture. Ici à Mexico, les militaires et le clergé font la loi et ne voient pas d’un bon œil les idées de la jeune femme qui tente de s’imposer dans un monde d’hommes.
Tandis qu’elle s’improvise impératrice, son mari Maximilien s’invente une garçonnière à quelques kilomètres de la capitale et ressemble plus à un gourou de secte qu’à l’héritier de la plus grande monarchie de l’Histoire. Une installation de la folie à plusieurs niveaux qui va toucher Charlotte, qui reste tristement célèbre pour sa fin tourmentée.
Cet album met en parallèle les croyances, les rêves, les fantasmes, les mythes et les lettres pour souligner la transition à l’œuvre, Charlotte sombre dans la paranoïa et Maximilien dans la décadence. Une touche d’ésotérisme que souligne le choix de couverture de ce T3 après avoir montré la jeune princesse soucieuse sur le T1 puis son arrivée à Mexico où elle s’impose comme la maîtresse des lieux sur le T2.
Le travail de Matthieu Bonhomme est bufflant, sa ligne claire dévoile des trésors de minutie et de trouvailles graphiques. De très belles planches pleines de tensions avec ces différents niveaux de lecture, des choix de cadrages inhabituels avec des gros plans cases rondes ou ovales ou encore certaines pages qui évoquent des gravures d’époques, avec panoramiques avec gros plans en médaillons. Et ces jeux de points de vue, de regards ou planches en miroirs.
Le trait fin et plutôt épuré du dessinateur contraste avec les masses de noirs qu’il utilise pour construire ses planches et donner des respirations dans ces pages riches en costumes et détails. Delphine Chedru vient compléter ce travail avec des grands aplats de couleurs vives qui viennent contraster avec les noirs. Cette utilisation de la couleur vient renforcer l’empathie avec le personnage et accompagner les émotions de l’héroïne quand les verts, bleu et rouge vont laisser place aux bruns, sépias et gris.
Avant-dernier acte de cette pièce dessinée : Matthieu Bonhomme & Fabien Nury ont donné tout un décorum théâtral à leur série, depuis la pièce à laquelle assistent les personnages dans le premier volume à la maquette des temples mésoaméricains que fait faire Charlotte pour la présenter à Paris. Ces personnages puissants ne sont que des marionnettes dans les mains de personnes qui le sont encore plus, les auteurs tirent partie de cette idées pour le cadre même de leur histoire. Charlotte et Ferdinand-Maximilien vont en faire les frais malgré leurs prétentions royales et intellectuelles. Avec cette bonne idée d’avoir pris le parti de raconter cette période historique du point de vue de la jeune femme avec tout ce que cela implique et d’en avoir fait un personnage fort à travers ses faiblesses et sa détermination.
Charlotte impératrice de Matthieu Bonhomme & Fabien Nury, Dargaud (3 volumes disponibles)
Couleurs de Delphine Chedru pour les T2&3 et Isabelle Merlet pour le T1
Illustrations : © Matthieu Bonhomme / Fabien Nury / Dargaud