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Critiques
par Thomas Mourier - le 26/08/2024
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par Thomas Mourier - le 26/08/2024

Come Over Come Over, le come back come back de Lynda Barry

Après l’excellent Mes! cent! démons! les éditions ça & là proposent à nouveau un recueil de Lynda Barry, qui ouvre une trilogie façon best-of, de sa grande série de strips publiée entre 1979 et 2008 : Ernie Pook’s Comeek.

Sur presque 30 ans, Lynda Barry a développé, dans cette série centrale dans son œuvre, pas mal de concepts qu’elle affinera dans ses livres successifs. Avec ce terrain de jeu à l’échelle du pays (le strip qui démarra dans un journal universitaire avant d’être distribué dans plus de 70 journaux) elle invente plusieurs personnages d’enfants dont les sœurs Maybonne Mullen et Marlys Marcelle, qui vont être les héroïnes récurrentes de ces bandes —et à l’honneur de ce recueil Come Over Come Over

À ces strips s’ajoute une courte histoire d’une vingtaine de pages, Filer en douce (Sneaking out) publiée dans la revue RAW en 1990, qui ajoute un effet de réel en s’intéressant à la famille des héroïnes tout en décentrant le focus habituel sur Maybonne. Morceaux choisis, bien choisis, pour inaugurer un triptyque donnant à lire le meilleur d’Ernie Pook’s Comeek.

Cher journal….

Pour mettre en scène Maybonne et son entourage, l’autrice utilise la forme du journal intime où la jeune fille aborde son quotidien à travers des entrées thématiques selon ses humeurs donnant un rythme qui colle parfaitement aux préoccupations d’une adolescente — et à la lecture décousue que propose le strip, avec sa périodicité, la possibilité de louper des épisodes, ou de ne pas avoir suivi depuis le début. 

En passant d’un sujet à l’autre selon les semaines ou en décortiquant un sujet précis en plusieurs épisodes, cette écriture lui permet d’allier des sujets comme la famille, l’amitié ou l’amour, l’art ou la philosophie, mais aussi le poids des traditions ou de la religion, ou encore la découverte de la sexualité ou la vision de l’Amérique contemporaine. Ce travail s’accompagne d’une réflexion sur la forme puisque l’aspect journal est conservé dans le graphisme, à la fois par la place importante laissée au texte en vis-à-vis du dessin, mais aussi par des jeux visuels avec l’imitation du papier, des notes et croquis sur les pages, ratures…

Avec cette forme Lynda Barry se démarque des strips de références dans les journaux des années 1980 qui utilisent de jeunes enfants pour parler de l’époque comme les Peanuts, Calvin & Hobbes ou même Mafalda en adoptant un côté plus réaliste. Ses personnages ne se démarquent pas par leur ingéniosité, leur réflexion ou leur humour, mais au contraire se présentent comme des ados lambdas. « Meilleur atout : peut avoir les ongles super longs » indique Maybonne dans sa présentation.

L’autre point de démarcation qu’installe la dessinatrice est l’absence de chute, si ces strips gardent majoritairement la forme en quatre cases, la dernière n’est pas un gag ou une pensée comme on peut s’y attendre, mais plutôt invitation à revenir, à se rappeler ses propres expériences. 

Souvenirs de la vie (presque) ordinaire 

À travers ces personnages qui ne se donnent pas le beau rôle, Lynda Barry met en scène les difficultés de l’adolescence et l’ingratitude de cet âge transitoire. On y trouve toutes les préoccupations d’une jeunesse qui s’ennuie devant les trop longues vacances d’été ou dont la vie est foutue après une dispute avec sa meilleure amie. Avec humour et malice, elle propose un regard lucide sur cet âge sans oublier de mettre en scène le monde des adultes dans une Amérique qui va mal. 

La famille de Maybonne Mullen et Marlys Marcelle reflète une classe moyenne déclassée et à travers elle, l’autrice aborde des sujets durs comme la pauvreté, l’alcoolisme, les violences domestiques ou encore l’inceste. Même d’apparence superficielle, les réflexions des héroïnes résonnent avec l’époque. 

La liberté de ton de la dessinatrice va de pair avec son approche graphique. Les dessins qui partagent la case avec le texte se concentrent quasi exclusivement sur les personnages pour mettre en avant l’intimité du procédé. Avec quelques décors ou objets pour souligner l’ambiance ou les situations, ce focus sur les visages lui permet de créer un effet d’intimité propre à ce journal intime. Pour continuer à jouer avec ses lecteurices, dans le strip intitulé 4 janvier, Maybonne commence même par un « Marlys Arrête de lire !!! C’est perso !!! » et sa sœur de répondre dans la dernière case « […] personne n’en à rien à faire de ton pauvre journal. » 

Par la suite, Lynda Barry inventera le terme d’« autobifictionalography » pour ses ouvrages comme Mes! cent! démons! [lisez notre coup de cœur ici] où elle revient sur son histoire familiale, ses secrets, son enfance, sa vie d’artiste, la drogue, l’amour et « tout ce qui lui passe par la tête à ce sujet ». Ainsi, elle prolongera d’une autre manière les pistes ouvertes par le faux journal de Maybonne dans une œuvre qui questionne sans cesse la créativité, de ses origines pendant l’enfance aux conseils pratiques. À travers ce 1er best of, Come Over Come Over, vous avez la meilleure porte d’entrée pour découvrir son immense talent. 

Come over Come over de Lynda Barry, ça & là

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fanny Soubiran


Toutes les images sont ©Lynda Barry, ça & là

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