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Critiques
par Thomas Mourier - le 6/09/2024
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par Thomas Mourier - le 6/09/2024

Connexions, l’art des correspondances dans l’espace et le temps

Après Faux accords, Pierre Jeanneau termine sa grande fresque avec Château de sable où les vies d’un groupe de trentenaires se mêlent et se démêlent sous l’influence des lieux et du temps.

Pour parler du temps qui passe, des amitiés qui durent ou qui se brisent, des histoires d’amour qui s’enflamment et s’éteignent, de la transmission ou du souvenir, Pierre Jeanneau s’est lancé dans un grand récit choral où plusieurs vies se chevauchent grâce à une mise en scène très graphique. Dans ces deux volumes de Connexions, il repense nos habitudes de lectures en repensant l’agencement des cases, et en proposant des planches faites de pleines pages ponctuées d’alvéoles, de cases dans les cases qui lui permettent de faire des focus, des effets de zoom et des jeux de temporalités sur une même planche. 

Le dessinateur dessine ses planches avec une perspective axonométrique, une manière de donner du volume aux plans, architecturaux pour donner des effets de dimension et d’échelles, un procédé que l’on retrouve dans les plans d’architecture d’intérieur ou dans certains courants de peinture ou tapisserie antique. Avec ce procédé, il déplace l’œil et l’attention sur des détails graphiques qui permettent des digressions visuelles ouvrant des flash-back ou des à-côtés qui viennent enrichir le présent des personnages. Avec ces petites cases qui ponctuent les planches, ou les plans de villes, l’auteur change de cadre, de lieu, de temps pour parler de l’intime en cherchant dans l’infime. 

Il utilise de grands aplats de noirs pour jouer sur les silences et les non-dits. La couleur réalisée avec Philippe Ory permet de donner des clefs sur la temporalité ou les émotions. À travers les jeux de couleurs, les cases en alvéoles superposées, on retrouve une même envie que dans Ici de Richard McGuire (décrypté ici) ou chez Chris Ware (à lire là) dans la gestion des pages et la réflexion sur l’espace & le temps.

L’ensemble est très ludique, à l’image des premières planches qui fonctionnent comme un tutoriel de jeu vidéo, avec les cases qui dévoilent l’espace au fur et à mesure, des espaces que l’on explore comme une carte en libre accès, des personnages qui évoluent dans les décors façon Sims ou des jeux à énigmes où on doit comprendre l’environnement façon Myst. Ces références au jeu vidéo se complètent de séquences à plusieurs contraintes comme la séquence du restaurant rythmée par l’horloge avec plusieurs niveaux de temporalité ressentie ou même les visages sur les plans de ville qui symbolisent des étapes clefs comme dans les maps au début de Super Mario

Avancer de concert

À travers ces choix graphiques et ces procédés narratifs, on découvre les vies de Faustine, Javier, Marc, Assia et Judith, on comprend leurs relations passées ou présentes, on découvre les fils qui ouvrent une parenthèse ou referment une histoire. Une très belle manière de parler de nos doutes, de nos choix, de nos paroles ou nos actes —même les plus anodins— qui peuvent avoir des répercussions insoupçonnées sur les autres. Avec cette bande de copains qui arrive à l’âge des choix, Pierre Jeanneau interroge les possibles et les regrets à travers ces différents portraits. En entrant dans la vie active, en interrogeant leurs désirs ou en remuant leurs passions artistiques, chaque protagoniste donne quelques pièces du puzzle que l’on pourra reconstituer après avoir lu les 12 chapitres.

Les personnages ont tous un lien avec la musique, et l’ancien groupe de Javier et Marc va catalyser les différentes trajectoires que l’on découvre au fil des chapitres. Chaque chapitre propose un focus sur un personnage à des époques différentes —et chaque titre de chapitre renvoie à une playlist secrète que vous pouvez écouter en lisant les albums. 

Les cartes ou plans de bâtiment venant lier l’espace au temps pour proposer une expérience de lecture singulière sans être complexe. Et si vous souhaitez des lectures plus expérimentales, l’auteur a réalisé plusieurs albums à contraintes aux éditions Polystyrène dont il est l’un des fondateurs (les découvrir sur son site ici). Vous y retrouverez aussi un aperçu des fascicules en auto-édition que l’auteur publiait à pour chaque chapitre de Connexions avant l’édition définitive retravaillée publiée par Tanibis. 

Connexions de Pierre Jeanneau, couleurs par Philippe Ory & Pierre Jeanneau, Tanibis (2 volumes)

Hommage à Philippe Ory 
Le coloriste de cet album, et de beaucoup d’autres, Philippe Ory nous a quittés le 18 août, il avait 59 ans. Graphiste et coloriste de bande dessinée depuis 2007 sur l’album Football Football de Guillaume Bouzard c’est à partir de 2019 qu’il commence à coloriser de nombreux titres, avec des styles et des auteurices variés, avec une petite préférence pour les titres d’humour. Damien Canteau du site Comixtrip l’avait interviewé en 2019 autour de sa pratique, à lire ici.


Tous les visuels sont © Pierre Jeanneau / Philippe Ory/  Tanibis

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