Ce n’est pas la première fois qu’Antoine Ozanam travaille sur un sujet historique : avec Gueule Noire en 2015, il revenait sur la condition des travailleurs au début du 20ème siècle, en 2016 il livrait une adaptation en BD du Journal d’Anne Frank, et en 2017 il participait à la série Ils ont fait l’histoire, avec un album consacré à Lénine.
Pour Le Dépisteur, il s’intéresse cette fois à un contexte historique peu traité, les premières années de l’après-guerre. Avec ce diptyque, il met la lumière sur un sujet bien précis, rarement abordé et pourtant fascinant : le sort des enfants juifs rescapés de la Shoah et dont on a perdu la trace. Certains de ces enfants ont en effet été cachés des soldats allemands et ont circulé de famille d’accueil en famille d’accueil, jusqu’à ce qu’on ne réussisse plus à les retrouver. Samuel, le protagoniste de cet album, est chargé de les retrouver pour les réunir avec leur famille biologique : c’est un “dépisteur”. Un sujet passionnant pour qui s’intéresse aux conséquences de la seconde guerre mondiale.
Cet angle neuf permet au scénariste d’utiliser le mode de l’enquête, le héros étant sur les traces d’un enfant mais ne disposant que de très peu d’informations, tout en revenant sur la période de l’occupation allemande et comment celle-ci a impacté les habitants d’un village, entre résistance, collaboration, et relations complexes avec l’occupant. Un village placé dans le sud de la France, mais qui pourrait finalement se trouver n’importe où dans l’hexagone, et qui continue à subir les conséquences de cette période sombre plusieurs années après la fin de la guerre. Évidemment, il ne faudra pas grand chose pour que l’enquête de Samuel ne rouvre les blessures du passé.
Classicisme maîtrisé
Prévu en 2 tomes, le récit d’Antoine Ozanam présente une structure assez classique. Samuel fait partie de ces protagonistes au passé mystérieux qui arrivent dans un endroit qu’ils ne connaissent pas. En menant son enquête, il va découvrir peu à peu ses habitants et son histoire pendant la guerre, tout en se battant contre ses propres démons. Le passé fait régulièrement irruption sous forme de flashbacks, qui nous racontent une autre de ses enquêtes s’étant tenue quelques mois ou années plus tôt. Une recette maîtrisée : le scénariste en utilise les codes, sans tomber dans le cliché. Certains personnages sont archétypaux mais jamais stéréotypaux, ayant tous pour eux une certaine complexité. Le rythme de l’enquête est bien dosé, et Ozanam nous tient en haleine en dévoilant aux bons moments des éléments d’information sur le village et le passé de Samuel.
Le classicisme, Marco Venanzi connaît lui aussi : ayant officié sur plusieurs albums d’Alix et Jhen, son trait ravira les amateurs de ces séries patrimoniales. Par certains côtés, son dessin rappelle également les albums de Jacques Ferrandez, tant dans sa manière de représenter les paysages du sud de la France que dans les faciès de ses personnages, un peu figés mais expressifs. Ses couleurs retranscrivent efficacement l’ambiance estivale du sud de l’hexagone, avec un joli travail sur la lumière du soleil et ses ombres.
Le Dépisteur est une bande dessinée classique tant dans sa structure que dans sa forme, mais parfaitement exécutée et traitant d’un sujet qui mérite à être mieux connu. Un récit en deux tomes, qui aborde la Shoah et ses conséquences sous un angle neuf et avec subtilité.
Le Dépisteur, d’Antoine Ozanam et Marco Venanzi, Glénat
Illustrations : © Marco Venanzi / Antoine Ozanam / Glénat