À la mort d’Henri, Anne et Fred découvrent un manuscrit pétri de références aux films de séries Z et à la littérature de gare. Ce scénario de film dont Henri parlait souvent n’est finalement qu’un nanar érotique ; ce projet d’une vie, réduit après lecture, à une collection de fantasmes et de clichés. Qu’importe, ce scénar est ce qu’il reste de lui.
Jusqu’où peut-on aller par amitié semble questionner le livre d’Antoine Bréda à travers l’aventure d’Anne et Fred qui se mettent en tête de réaliser ce film avec les moyens du bord. Avec peu de moyens, mais de la volonté et quelques amis, Anne s’improvise réalisatrice et convainc le timide Fred de tenir le rôle principal.
Si Fred est mal à l’aise devant la caméra, il l’est encore plus devant sa compagne Élise à qui il n’a pas encore avoué qu’il s’était lancé dans cette aventure sans lui en parler. Pourtant, ce n’est pas faute de lui rappeler, répète Anne, alors que les scènes de sexe doivent être tournées…
Jouant parfaitement de cet humour du malaise, de la cringe comedy anglo-saxonne, Antoine Bréda s’amuse de ces moments de gêne qui abordent en creux des sujets profonds. Entre cet humour de la maladresse et du quiproquo se nichent de belles réflexions sur l’amour, l’amitié et la création artistique.
Le porno qui cache la forêt

Si le tournage de ce film érotique est le cadre de l’histoire, son dessin ne met jamais en image la pornographique ou les corps, mais tourne autour, l’album reste tout public. À l’image des policiers réquisitionnés comme figurants qui découvrent que leurs costumes sont des phallus ou des chasseurs qui tombent sur une scène érotique en pleine forêt, l’album nous surprend astucieusement sans trop en montrer.
Derrière ces péripéties et toutes les galères du tournage, on suit le trio Anne, Fred et Élise qui composent avec leurs vies et ce tournage encombrant permettant à l’auteur de questionner ce qu’on est prêt ou non à faire par amitié ou par amour. Ces interrogations font face à des thématiques puissantes, celle de l’art comme moyen d’exister, de résister à l’oubli ou celle de la prétention de créer.
Après Un enfant comme ça publié en 2019, Antoine Bréda change de style pour ce nouvel album avec un trait noir, épais et plus rond. Un trait épuré renforcé par des jeux d’ombres et de hachures que viennent compléter des aplats de couleurs qui saturent l’espace pour remplacer sporadiquement les décors et mieux mettre en valeur les émotions.
Pourquoi crée-t-on ? Est-ce que tout doit être montré ? Qu’est-ce qu’une œuvre dit de son/sa auteur.trice ? L’histoire cahotique du tournage des aventures d’Adrix le Destructeur, l’Empereur des 9 Galaxies aborde ces questions avec beaucoup de tendresse et d’humour. Les boules est aussi touchant par sa simplicité et son humour que pertinent par sa mise en abîme de la création et sa réflexion sur la mémoire.
Les boules d’Antoine Bréda, 6 pieds sous terre
Toutes les images sont © Antoine Bréda / 6 pieds sous terre


