Quand on a pour la première fois vu le pitch de Paco les Mains Rouges, notre sourcil droit s'est légèrement soulevé (le gauche était en grève ce jour-là). Une bande dessinée sur le bagne en Guyane ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on a pas souvent eu l'occasion de se retrouver face à une oeuvre sur traitant de ce thème trop souvent passé sous silence. On se demandait donc comment les auteurs pouvaient l'aborder sans être dans la présentation historique quelque peu didactique. C'est donc avec une certaine appréhension que nous nous sommes lancés dans lecture de cette œuvre.
"Une façon de me rappeler que j'avais senti le souffle du couperet."
Clarifions les choses de suite, rien ici ne nous laisse à penser qu'il s'agit d'une BD descriptive, qui sacrifie le récit au profit d'un étalage d'anecdotes historiques. Oui, on sent que Fabien Vehlmann s'est documenté, qu'il a essayé de coller au plus près de la réalité historique. Mais il fait de cette approche risquée une force pour donner un background à son histoire, sans en faire l'argument principal de ses écrits. Car ce qui compte vraiment ici, c'est la descente aux Enfers de Paco. Ce personnage qui est embringué dans un voyage dont on se doute qu'il ne ressortira pas indemne. Ce couperet tragique est d'autant plus puissant que l'on ignore tout de ce qu'il l'a poussé dans cette situation. Quel peut bien être son méfait ? C'est l'un des ressorts de l'intrigue. Comme d'essayer de découvrir qui est sa mystérieuse interlocutrice. Bien des mystères qui restent à démêler pour un lecteur tenu en haleine tout au long de la tragique aventure.
La narration, vaisseau de l'ambiance souhaitée par l'auteur, est une force incroyable au récit. Ne serait-ce que par son registre lexical. Cet argot de bagnard qui colle au récit et qui nous plonge directement dans une atmosphère pesante, où le danger semble se terrer dans chaque case, où chaque gouttière apparait comme un répit avant une nouvelle menace. On finit la lecture éprouvé, étonné de voir le héros encore vivant. On se surprend même à se prendre d'empathie pour ces bagnards, Armand dit la Bouzille en tête, et à détester tous les symboles de l’autorité. Preuve que l’on s’implique dans cette aventure. D’autant plus que le scénariste ne nous épargne rien, il n’est pas là pour romancer une réalité qui n’avait rien de charmant. Finalement, on a là le meilleur plaidoyer contre cette pratique barbare qu’était le bagne.
“J’en ai pris plein la gueule, mais l’important c’est que je m’étais pas laissé faire.”
Mais Fabien Vehlmann n’est pas le seul qui joue avec nos nerfs. Le dessinateur Éric Sagot est là pour nous rappeler que nous sommes en terre hostile. Son trait poétique, presque doux, donne un contraste effrayant avec ce qu’il représente. Une violence omniprésente, des hommes qui n’ont plus aucune humanité, un climat moite qui suinte des pages. Et au milieu de tout cela, une histoire d’amitié, peut-être même d’amour, déroutante certes, mais puissante aussi. D’ailleurs, le récit ne manque pas de pudeur, car s’il l’on ne manque pas de nous montrer des gorges tranchées, le but n’est pas non plus de mettre le lecteur mal à l’aise et les auteurs nous préservent de scènes de viols dont l’évocation crue est tout aussi impactante que la vue de cet acte répugnant.
Malheureusement, parfois, le dessin déroute; il a pourtant fait un choix intéressant en se montrant sous des couleurs sépias (alors que l’on voit bien dans les nombreux bonus de fin que l’option de la couleur avait été un moment envisagée). Mais cette trop grande uniformité dessert parfois le récit puisque l’on cerne mal le changement qui s’opère chez Paco, comme s’il traversait le récit sans y prendre part, spectateur de sa propre déchéance. C’est peut-être un choix, mais cela enlève du relief et par conséquent de l’émotion. Il faut pourtant bien admettre que c’est sans doute cela qui rend cette histoire particulièrement dérangeante, d’autant plus que la fin arrive presque sur une absence de climax, et on s’étonne à se demander : “Quoi, déjà ?”. C’est en revanche un bon signe pour la suite puisqu'il ne fait plus aucun doute que nous nous jetterons sur le second tome d'une série que l'on place déjà parmi nos attentes les plus fortes pour les temps à venir.
Paco est un récit des plus âpres et violents, paradoxalement pas désabusé, comme si une lueur d’espoir subsistait éternellement tant qu’il existera de l’amitié entre les hommes. Mais il faut bien chercher cette dernière, car enlevez le lustre de la société, et l’animal qui sommeille dans l'humanité ressurgit pour vous sauter à la gorge. Dans ce cas-là, l’important c’est de rendre les coups. La morale est dure ? La vie l'est aussi.
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Archive 9ᵉArt
par Alfro - le 13/10/2013
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par Alfro - le 13/10/2013
Paco les Mains Rouges, la critique
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