Le 27 mars dernier est sorti Peau de mille Bêtes, le dernier livre en date de Stéphane Fert. En 2014, l'auteur avait réinterprété le mythe de la table ronde en se centrant sur le personnage de Morgane. Ici, l'auteur renouvelle l'exercice avec Peau d'Âne, qui lui permet à nouveau de raconter un personnage féminin. Si je n'ai pas eu la chance de lire Morgane, j'ai fondu pour Peau de mille bêtes et sa splendide cruauté.
Protégée par les bêtes
Belle est si magnifique que personne n'a songé à lui donner un autre nom. Pour fuir la convoitise des hommes, elle part se cacher dans la forêt et rencontre le roi Lucane, un monarque qui gouverne aux bêtes. Celui-ci lui confectionne la plus belle des robes, et Belle finit par accepter de vivre avec lui. De cette union naît Ronce, une jolie petite fille. Mais le temps passe et Belle n'a pas les pouvoirs du roi Lucane. Terrassée par la maladie, elle lui demande sur son lit de mort de prendre soin de Ronce.
Le roi n'a que faire de la fillette et l'envoit vivre dans la forêt, ordonnant aux bêtes de prendre soin d'elles. Si vous connaissez le conte, vous connaissez la suite : quelques années plus tard, le père revoit sa fille et tombe amoureux d'elle. Mais face à son refus, il usera de ses pouvoirs diaboliques pour la faire plier, la transformant en ogresse qui dévorera tous les hommes sur son passage. Accablée par sa monstruosité, Ronce cherchera un refuge loin des hommes...
Une beauté folle
La première chose qui frappe quand on lit Peau de mille bêtes, c'est la beauté folle de ses graphismes. Stéphane Fert n'est pas du genre à s'encombrer de cases : parfois les pages se font plus récit illustré qu'art séquentiel. Parfois le storyboard est plus haché, avec des plans serrés, et puis on tombe sur une pleine page bluffante. Le storyboard est en perpétuelle évolution, de même que le design des personnages. Margot la sorcière qui se dit fée est parfois femme, parfois corbeau, parfois même un peu des deux. Ronce quant à elle est tantôt immense, tantôt massive, et arbore parfois une taille de guêpe. Pourtant, on n'y voit là aucun "faux raccord": selon moi c'est plutôt une façon de marquer le côté presque onirique de l'histoire.
Onirique, mais pourtant particulèrement ancrée dans le réel. Au travers d'un conte fantastique, Stéphane Fert délivre un vrai message sur la pression et les injonctions subies par les femmes. Belle fuit la société qui ne voit en elle qu'un trophée, pour finalement retrouver le même type de personnage dans la forêt. Ronce fera elle aussi face à la cruauté d'un homme, et finira par tous les fuir à cause de son maléfice. L'histoire est cruelle comme l'est la vie, et c'est une sacré prouesse de nous amener à ce type de réflections au travers d'un récit fantastique. Peau de mille bêtes m'a beaucoup fait penser aux Filles de Salem de Thomas Gilbert, où le trait et le récit complétement dingues nous mènent à des thématiques très actuelles. Un bémol cependant : j'ai été embêtée par le lettrage, qui manquait selon moi de clarté sur certains passages.
Peau de mille bêtes est donc une belle réussite. L'histoire est cruellement belle, autant que les graphismes. Le tout dégage une sorte de folie maîtrisée qu'on se plait à prendre le temps de dévorer. L'album est disponible au prix de 19 euros chez Delcourt !