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par La Redac - le 25/11/2018
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par La Redac - le 25/11/2018

Polaris - La nuit de Circé : Le Cercle des Libertins disparus

Où s'arrête le désir et commence l'amour ? Peut-on séparer le sexe des sentiments ? Peut-on s'épanouir dans la monogamie ? Un couple est-il incompatible à la liberté sexuelle ? Au polyamour ? Pouvons-nous réellement dépasser notre jalousie et mettre notre ego de côté ? Jusqu'où serions-nous prêts à aller par amour ? Ou était-ce un accident ? Le corps sans vie de Élise Eternay est retrouvé dans un appartement vide, d'étranges figures géométriques tracées sur les murs. Il s'avère que cette femme faisait partie d'un club très fermé, aux pratiques sexuelles débridées mais régies par des règles strictes : Le cercle de Circé.

Après la série Samedi et Dimanche, le one-shot Les Derniers jours d'un immortel, et la revue de bande dessinée numérique Professeur CyclopeFabien Vehlmann et Gwen de Bonneval se retrouvent pour signer ce polar sensuel et provocateur. L'un voulait parler d'une histoire d'amour délicate sur fond de libertinage, l'autre d'un cercle secret qui ferait avec la sexualité ce que l'OuLiPo fait avec la littérature. Le résultat est explosif. Ce qui est certain c'est que Polaris ou la nuit de Circé ne laisse pas indifférent. D'abord, l'ouvrage en lui-même sort du moule BD traditionnel avec ses 160 pages et son petit format. Vous savez, ce livre qui n'arrive pas à la même hauteur que les autres sur l'étagère de votre bibliothèque ? Et pourtant, on peut dire que Polaris est à la hauteur de ses auteurs. L'histoire tient en haleine du début à la fin. Astucieux d'avoir choisi le polar pour accrocher le lecteur et donner ce côté sombre et violent associé au genre, mais ce n'est pas l'intrigue qui m'a le plus intéressée. L'enquête semble être un prétexte pour parler d'un monde qui fascine et suscite assurément la curiosité. Ce monde si peu connu en dehors des clichés, des pornos, ou de l'image que dépeignent des films comme Eyes Wide Shut. Un monde de mystère mais aussi de dangers où le plaisir est roi.

Policière le jour, libertine la nuit

Jeanne Condorcet, policière le jour et libertine la nuit, sépare très bien sa vie privée de son travail. Jusqu'à ce qu'elle se retrouve avec un meurtre à résoudre, impliquant les membres d'une organisation créée par une ancienne prostituée nommée Polaris. Le cercle de Circé définit les règles de jeux sexuels "sous contraintes", et elle va devoir s'y infiltrer pour trouver des réponses. Malheureusement, on se retrouve avec un personnage-fonction, prolongement du lecteur qui veut en savoir plus. Jeanne tient à merveille son rôle de flic. Elle ne s'énerve pas, ne s'implique pas. On voit l'enquête avancer mais pas ses doutes, ses questionnements, ses peurs. Impossible de s'identifier à elle alors qu'elle semble ne rien ressentir. Certains personnages secondaires sont mieux travaillés. Comme Boris, un jeune écrivain idéaliste tiraillé entre cette ex qu'il aime toujours, qui l'entraîne dans cet univers de débauche, et la peur de la perdre dans les bras d'un autre. Pardon, d'autres, au pluriel. On suit son histoire, son passé, en parallèle de l'enquête de police. Deux trames avec d'un côté les questions et de l'autre les réponses. À chaque retour au présent, on se retrouve frustré de ne pas suivre davantage la seconde trame. Les enjeux de Jeanne semblent de peu d'importance comparés à ceux de Boris, qui lui prend de vrais risques, aime et souffre.

Les scènes de sexe sont vraiment bien traitées. Les positions et les angles sont originaux, artistiques, les visages expressifs. On évite les clichés attendus et on ne tombe jamais dans le voyeurisme. Tellement explicite avec des corps nus, des postures de soumission, des sexes en érection et même un enfilage de préservatif, que l'érotisme laisse la place à de la curiosité pure à l'image d'un documentaire. Enfin parler du sexe différemment, sortir des stéréotypes que nous impose la société. Cette peur d'être "anormal" ou "pervers" ou "salope". Rappeler l'importance du consentement, même lorsqu'il s'agit d'un rapport de domination ou de jeux sadomasochistes.

À l'encre de chine

Habituée à la couleur, je suis contre toute attente tombée amoureuse du dessin en noir et blanc de Gwen de Bonneval. Les contours sont tracés à l'encre de chine, ce trait parfois vif parfois tremblant, ces lignes de perspective qui fuient au loin, ces silhouettes en ombres chinoises, le creux d'une joue, le pli d'un vêtement, quelques taches de rousseur. Pour nuancer la violence de l'encre noire vient s'ajouter du fusain, des dégradés, des ombres légères et progressives. 

Et surprise : un flashback est soudain en couleurs. Le premier au pastel gras, le second à l'aquarelle. Les auteurs parlent d'une manière de signifier la subjectivité de certains témoignages recueillis par Jeanne, et d'un moyen de transmettre l'émotion du protagoniste dans un souvenir érotique précis. Après tout ce gris on a tout à coup du rouge, du vert, du rose, du jaune, l'espace d'une ou deux pages. L'effet est percutant et le résultat de toute beauté. La rareté de la couleur lui donne toute son importance, comme on surlignerait au marqueur les passages importants d'un livre. Jusqu'à l'explosion finale, l'apothéose, autant dans le fond avec l'histoire et l'action que dans la forme avec le déchaînement de créativité.

Album ambitieux qui réveille une curiosité oubliée sous l'oreiller, l'histoire de Fabien Vehlmann rassasie. On en ressort avec un grand sourire, tel un enfant pris la main dans le pot de confiture. Et même si l'enquête ne vous aura pas emballés, l'inventivité des jeux vous aura donné des idées.

Enfin une bonne excuse pour ressortir sans scrupule l'hypnotique Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick ou la BD de Cy Le vrai sexe de la vraie vie. Et bien sûr se procurer sans attendre "Polaris ou la nuit de Circé" disponible au prix de 19.99 euros chez Delcourt.

Par RedFanny
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