Dans ce premier tome de Tête de chien, le scénariste Vincent Brugeas nous présente un groupe constitué de deux chevaliers — ou plutôt d’un chevalier et d’une chevaleresse qui se fait passer pour un homme, les tournois leur étant réservés — et d’un écuyer se déplaçant à travers la France du Haut Moyen Âge pour participer à des tournois. Un trio autour duquel les auteurs vont développer un panel de personnages secondaires, et surtout mettre en lumière la réalité de ce qu’étaient les tournois de chevaliers à l’époque : avant tout un moyen de gagner de l’argent.
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On le comprend vite, les nobles idéaux de la chevalerie sont ici secondaires, quand ils ne sont pas carrément une façade. Les personnages ont tous comme objectif premier de gagner de l’argent, que ce soit pour des questions politiques (les nobles en prennent pour leur grade), ou tout simplement pour s’acheter de quoi manger. Et que ce soit honnêtement, en suivant à la lettre le règlement des tournois, où moins, en pariant voire en trichant. Une dimension très terre à terre qui apporte une vraie fraîcheur à un contexte médiéval souvent caricaturé et/ou idéalisé.
Autre source de fraîcheur, un personnage féminin fort mis en avant, dans un monde tout ce qu’il y a de plus masculin, sans en faire des tonnes, et sans tomber dans le cliché de la femme badass aux attributs ou au comportement exagérément virils. Il est sans doute peu probable qu’une femme ait pu participer à des tournois médiévaux sans se faire repérer à cette époque, et pourtant, on y croit. Sans compter que cette duplicité va devenir l’un des enjeux de la série.
L’univers qui entoure les personnages est riche. En un tome relativement avare en dialogues, ce monde médiéval et ses nombreuses parties prenantes sont développés de manière dense, sans jamais être assommants. Au contraire, on veut en savoir plus ! Une vraie réussite, alors même qu’il n’est jamais question de guerre, de complots, ou de religion, comme dans la majorité des œuvres d’inspiration médiévale : les seuls enjeux sont politiques et financiers, et passent entièrement par le biais des tournois.
Réalisme pop
Le récit est construit de manière brute et efficace, avec un découpage en chapitres qui mettent chacun en avant un personnage en particulier, permettant un renouvellement constant du discours. Une volonté soulignée par la page introductive de chaque chapitre, systématiquement constituée du monologue intérieur d’un des personnages sur un fond quasi monochrome – uniquement réhaussé de dessins au trait noir.
Visuellement, Ronan Toulhoat transmet efficacement l’ambiance rugueuse de ces tournois et le quotidien assez miséreux de leurs participants, tout en gardant un côté pop, évitant ainsi l’imagerie éculée du moyen-âge gris et morne. Les personnages sont drôles, expressifs, et les couleurs de Yoann Guillo assez vives, qu’il s’agisse de la nature ou des blasons et armures. Ces choix visuels judicieux, alliés à une certaine inventivité narrative et aux objectifs très terre à terre des protagonistes, donnent à l’album un côté étonnamment réel. Encore une fois, on y croit.
La plupart du temps, le découpage est sobre, presque noble, en gaufrier avec des cases aérées, mais sait trouver originalité et dynamisme en tirant plus vers le comics lors de certaines scènes d’action. Les combats, en particulier, sont nerveux et intenses, tout en restant lisibles. Un entre-deux entre noblesse et nervosité, entre sobriété et dynamisme, qui correspond finalement bien aux personnages et au contexte.
Tête de Chien est une histoire de chevalerie pleine de fraîcheur, qui utilise un contexte que l’on croit connaître, mais le traite de manière originale, très terre à terre, doublé d’une imagerie pop. On attend le tome 2 avec impatience !
Tête de Chien, de Vincent Brugeas, Ronan Toulhoat & Yoann Guillo / Dargaud
Illustrastions © Vincent Brugeas / Ronan Toulhoat / Yoann Guillo / Dargaud
Illustrastions © Vincent Brugeas / Ronan Toulhoat / Yoann Guillo / Dargaud
