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Édito
par Thierry Soulard - le 28/03/2019
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par Thierry Soulard - le 28/03/2019

Les coulisses du 9e Art : Scénariste au travail

Comment travaille un scénariste ? À quoi ressemblent les différentes étapes de travail sur un scénario de BD ? Pour se lancer dans un nouveau projet, un scénariste professionnel a besoin d’une idée, et bien souvent, de l’accord d’un dessinateur et d’un éditeur (lire la 1ère partie). Mais une fois cela validé, quel est son… Lire la Suite →

Comment travaille un scénariste ? À quoi ressemblent les différentes étapes de travail sur un scénario de BD ? Pour se lancer dans un nouveau projet, un scénariste professionnel a besoin d’une idée, et bien souvent, de l’accord d’un dessinateur et d’un éditeur (lire la 1ère partie). Mais une fois cela validé, quel est son travail concrètement ?
Réponses avec les scénaristes Nicolas Jarry (Les Brumes d’Asceltis, Le Trône d’argile, Nains…), Sylvain Cordurié (Salem la noire, Acriboréa, Sherlock Holmes, Les Maîtres inquisiteurs), Olivier Jouvray (Lincoln, Nous ne serons jamais des héros, Au royaume des aveugles) et Kris (Les Brigades du temps, Le Déserteur, Notre Mère la guerre, Un homme est mort, Nuit noire sur Brest…)

Partie 2 : L’écriture

« Pour comprendre ce qui marche dans un scénario, un bon exercice est de relire les BD qui sont pour nous des références ultimes. »

✒️Le tâtonnement

Concrètement, pour écrire, on fait comment ? « Au début, ce que je faisais, c’était du bricolage », avoue Nicolas Jarry. « C’était l’avantage, quand on commençait il y a 20 ans : on pouvait bricoler, on nous laissait l’opportunité de faire quelques albums un peu boiteux. Et j’avais Jean-Luc Istin (scénariste et directeur de collection chez Soleil) , qui avait de l’expérience, qui a travaillé mon texte pour en faire un album. Et pour le reste, j’ai fait, comme je pouvais. À l’époque, il n’y avait pas internet, et une fois qu’on a lu les 2 ou 3 bouquins qui existent et demandé comment on fait aux auteurs qu’on connaît, qui nous refilent 2 ou 3 recettes vagues… On se démerdait. Tu regardes comment c’est construit, et tu apprends de tes erreurs, et des retours des lecteurs. »

« À l’époque de mon premier scénar, j’étais en Fac d’histoire », se souvient Kris. « Pour ce boulot, c’est très formateur en fait. Beaucoup de scénaristes sortent de là, ou de Sciences Po. Ça m’a appris à travailler tout seul, et à faire des exposés, ce qui est assez proche de la façon dont tu vas présenter des projets à l’éditeur ou à un dessinateur pour qu’il soit intéressé pour le publier. Je n’ai jamais lu de méthode, j’ai juste été biberonné à la BD depuis que je sais lire. Et puis j’ai écrit, j’ai essayé de trouver comment décrire des pages de BD sans dessiner soi-même, et c’est comme ça que ça a démarré. »

« Pour comprendre ce qui marche dans un scénario de BD, un bon exercice est de relire les BD qui sont pour nous des références ultimes. », explique Sylvain Cordurié. « Il faut se plonger à fond dans les BD qui nous ont plu, et en décortiquer les mécanismes. Il y a quelque chose du domaine de l’analyse, et quelque chose du domaine du ressenti. Il faut rejoindre ces deux aspects pour réussir à faire quelque chose qui se tienne en tant qu’auteur. Moi au début, j’ai beaucoup regardé, beaucoup assimilé ce que je pouvais trouver dans des BD et comics. Analyser, décortiquer, comprendre les mécanismes, je me débrouille plutôt bien à ce jeu-là. Au début, j’étais un scénariste très très moyen, mais j’avais une vraie culture visuelle, qui me permettait de compenser ce que je n’avais pas en termes d’écriture, notamment au niveau des dialogues, qui étaient calamiteux. »

« Au fil de l’expérience tu apprends à repérer là où il y a quelques choses à faire, et à trouver l’angle qui va faire que tu ne vas pas écrire un récit que n’importe qui d’autre peut écrire. C’est ça qu’on demande à un auteur : avoir une voix. »

🤔Trouver les idées

« Il faut une grande idée, une idée dont on se dit qu’elle n’a pas été exploitée, ou pas à fond, ou pas sous cet angle là », souligne Nicolas Jarry. « Une idée, et une envie. À partir de cette idée, on va faire émerger quelques personnages, quelques grandes lignes. Et écrire un synopsis qui va synthétiser les grandes étapes du scénario en quelques lignes. C’est vraiment une présentation générale, qui doit faire envie.

Comment trouver ces idées, ces angles ? « D’abord, je suis tout le temps en éveil », explique Kris. « Un scénariste, sa première qualité, c’est d’être curieux, mais d’être curieux à 150%. Quand je vais en festival, je vais m’intéresser à l’histoire du coin. Si je veux faire quelque chose sur le sport, je vais lire beaucoup sur l’histoire du sport, sur les trajectoires de sportifs. Cet état de disponibilité fait que plus ça va, plus tu repères, au détour d’une phrase, d’une nouvelle, les choses à creuser. Il faut savoir faire un pas de côté, aussi. Les histoires te tombent toujours un peu dessus, mais au fil de l’expérience tu apprends à repérer là où il y a quelques choses à faire, et à trouver l’angle qui va faire que tu ne vas pas écrire un récit que n’importe qui d’autre peut écrire. C’est ça qu’on demande à un auteur : avoir une voix. »

L’exact opposé de cela, c’est le scénario de commande, mais celui-ci n’est proposé qu’à des scénaristes ayant déjà largement fait leurs preuves. « Depuis Sherlock Holmes, je fais des scénarios de commande, c’est à dire des projets à l’initiative de l’éditeur », explique Sylvain Cordurié. « Ça veut dire qu’il n’y a pas une idée qui vient de moi : il y a une envie de l’éditeur, une discussion préalable, un pitch que l’on pose assez rapidement, et s’il est approuvé, je commence à partir sur l’écriture. »

« Il faut savoir ne pas se faire trop plaisir, ne pas être trop pointu, au risque d’oublier le grand public. »

📰 Faire des recherches

Quel que soit l’univers dans lequel les personnages évoluent, une part de recherche documentaire sera probablement nécessaire. Uniformes napoléoniens ou règles de la physique quantique, les thèmes changent, les méthodes restent les mêmes « Je passe beaucoup de temps à faire des recherches documentaires. J’ai besoin d’avoir une vision assez claire de l’environnement dans lequel je vais faire évoluer mes personnages », explique Olivier Jouvray.

Mais sur notre panel, le roi de la documentation, c’est assurément Kris. « Je lis énormément. Entre 80 et 100 bouquins par an, hors BD. J’essaye de lire au minimum 50 à 100 pages par jour. Quand j’ai besoin de documentation, j’utilise internet, surtout pour les photos – j’aime beaucoup les photos pour m’immerger dans une époque – mais je fais surtout beaucoup de recherches à l’ancienne. C’est ma formation en fac d’histoire. J’adore le papier. Chez moi, il y a 8 000 bouquins. Et je continue à faire les vide-greniers, à être abonné à plein de magazines… Pour Notre Mère la Guerre, la bibliographie approche les 500 livres. Pour moi, l’idée n’est pas tant d’avoir connaissance de faits précis, de détails de boutons de manchettes, mais plus de ressentir une époque. C’est pour ça que je privilégie souvent des récits de témoins ou des journaux intimes, beaucoup plus que les fictions. Si je lis des romans sur la Grande Guerre, je vais lire des romans écrits par des anciens combattants, et très peu de livres écrits par des types comme moi. Je les lis après, et je me rends compte « Ha tiens, lui il a lu ça aussi ». »

Tous les scénaristes BD ne font pas autant de recherches, loin de là. « J’ai travaillé avec Trondheim sur Infinity8. On a bossé une semaine dans ma maison de vacances. Au bout de trois jours, il me dit  « C’est bon, je vais storyboarder ça quand je rentre chez moi et je t’envoie le truc ». Je le regarde à moitié paniqué « Tu vas storyboarder quoi ? Pour l’instant, on a juste jeté les idées, faut réfléchir, prendre du recul… » Cinq jours après, il avait storyboardé complètement les 20 premières pages. Je suis incapable de bosser comme ça. Il allait beaucoup trop vite pour moi. Le temps que je réfléchisse, il avait écrit l’album. Des fois j’aimerais bien savoir lâcher un peu plus les chevaux comme ça, lâcher un peu la documentation au profit de l’écriture. »

Car trop faire de recherches n’est pas forcément bon. « Je ne sais pas faire autrement. Mais c’est super chiant, tu as l’impression de ne pas pouvoir écrire une page sans être un expert du sujet. Il est parfois difficile de réussir à lâcher la connaissance que tu as acquise pour rendre ça intelligible à quelqu’un qui n’a pas fait dix ans d’étude sur le sujet. Il faut savoir ne pas se faire trop plaisir, ne pas être trop pointu, au risque d’oublier le grand public. Et tu peux être prisonnier de la doc pour des récits historiques, t’en servir inconsciemment d’excuse. Écrire, c’est lâcher le bébé, figer les choses, et c’est très dur pour un scénariste, alors que quand tu te lis encore un peu, tu ne prends pas de risques… »

D’ailleurs, quand il cherche des exemples d’albums qui utilisent bien la documentation, les références que Kris cite ne sont pas forcément les plus éclectiques. « Parfois, on se moque un peu de la BD à l’ancienne, des 46 pages, mais les mecs arrivaient à traiter des sujets avec une profondeur bien plus importante qu’on ne l’imagine. Les Tuniques bleues, les trucs comme ça, d’un point de vue historique c’est en réalité très fort, et pourtant ça n’oublie jamais de raconter une histoire. »

© Sylvain Cordurié/Laci 

« Le fait d’écrire à la main m’oblige à penser moins vite pour penser mieux  »

📑 Organiser les idées & l’écriture scène par scène

« Je travaille d’abord avec des carnets », explique Olivier Jouvray. « J’ai besoin d’écrire à la main, pour vider ma tête des idées qui me viennent. Le fait d’écrire à la main m’oblige à penser moins vite pour penser mieux. Une fois que j’ai mis à plat pas mal d’idées, de recherches de personnages, je passe sur ordinateur. J’utilise le logiciel Scrivener pour écrire. Très complet et pratique pour organiser mon travail. Je mets au propre les idées que j’ai collectées dans mes carnets, je trie, je sélectionne et je commence à travailler une structure de base de la future histoire. Je passe pas mal de temps à travailler et retravailler le synopsis avant de passer à la phase finale, le découpage et l’écriture des dialogues. »

Un travail de scénariste-architecte, dirait George R.R. Martin : on dessine d’abord le plan avant de construire la maison.
L’autre type de scénariste qui existe, c’est le jardinier, celui qui fait pousser son histoire au fil de la plume. Comme Kris. « Une fois que j’ai jeté les premières idées de base, je vais lire énormément, m’immerger énormément dans l’univers que je veux raconter, à travers des écrits, des romans, des photos, pour essayer d’entrer en empathie avec l’époque, les lieux, les personnages. Je vais noter plein d’idées. Et après, je vais commencer vraiment à écrire mon récit, en allant piocher dans toutes ces idées. J’ai une méthode très personnelle, j’écris au fil de l’eau, avec très peu d’avance sur le dessinateur. La, j’écris le tome 3 de Notre Amérique, je ne sais pas ce qui va se passer dans dix pages. »

Une fois le synopsis posé, les grandes idées et les personnages identifiés, la plupart des scénaristes vont se lancer dans l’écriture des scènes, et dans le découpage. Deux étapes qui souvent se confondent plus ou moins. « La première scène est toujours assez facile, c’est une espèce de liberté qu’on va avoir », explique Nicolas Jarry. « J’écris la première scène, et à partir de là je vais restructurer mon histoire, faire un synopsis abouti scène par scène, avec des bouts de dialogues, des références… À ce moment, j’appelle un copain de scénario, on discute, je retravaille tout ça. Je préfère travailler en deux grandes étapes : je fais une moitié d’album, je passe à autre chose, ensuite je reviens dessus, je relis ma moitié d’album, je retravaille un peu, et je finis l’autre moitié d’album. Ça me permet d’avoir un peu de recul. »

Une méthode du demi-scénario également plébiscitée par Sylvain Cordurié. « J’écris mon scénario scène par scène, ou de plus en plus souvent demi-scénario par demi-scénario », explique-t-il. « Puis je fais mon découpage planche par planche, puis case par case, avec les dialogues pour chaque case. Et davantage que la plupart de mes camarades, je fais des descriptions, qui vont de 2 à 20 lignes. J’y mets pas mal de docs, de visuels, de références… »

Même méthode pour Kris : « J’écris les scènes, et je fais un découpage page par page, ou plus précis, case par case. Même si je fais seulement un découpage page à page, je vais aller à la ligne à chaque changement de case. Je mets un certain nombre d’indications de mise en scène, qui peuvent être très précises. Mais encore une fois, je n’ai pas de religion : avec Maël, j’écris un découpage page par page, et ensuite c’est lui qui fait un storyboard très précis, dont on discute ensuite, pour affiner les dialogues, les angles de vue. »

Les scènes, les descriptions, la narration… Et les dialogues, dans tout cela, quand sont-ils écrits ? « Les dialogues vont se faire en différentes étapes », explique Nicolas Jarry. « D’abord au moment de l’écriture, puis en partie au moment où je fais mon découpage scène à scène. Je pose d’abord les grandes lignes de force, en sautant  du coq à l’âne. Je visualise ça un peu comme une scène de théâtre. Il peut même m’arriver de ne faire que du dialogue sur quatre pages, puis de le découper ensuite, de le faire vivre. J’aime beaucoup le dialogue. Pour moi le dialogue prévaut sur le découpage. »

©Nicolas Jarry

« Le scénariste écrit, le dessinateur dessine et envoie à l’éditeur. Mais dans le monde de la BD, le schéma général est beaucoup plus souple, et le monde de la BD n’est fait que de cas particuliers. »

🎨Le storyboard

L’écriture du scénario de bande dessinée passe alors par l’étape du storyboard, document montrant les pages et cases composées grossièrement. Une étape qui, selon les cas et les compétences, peut être assurée par le scénariste, par le dessinateur, ou être le fruit d’un travail conjoint.  « Au début, j’avais des découpages très grossiers », explique Nicolas Jarry. « Mais en travaillant avec Guillaume Lapeyre, j’ai vu ce qu’était un storyboard. Petit à petit, j’ai appris à construire une imagerie mentale de chaque page. Aujourd’hui, c’est facile : je visualise ma page dans ma tête, et à partir de là, je la découpe. » Découpe et storyboard peuvent d’ailleurs allègrement se chevaucher. « Parfois, j’attends que le dessinateur travaille à partir de mon premier jet – pour avoir un visuel pour dérouler l’histoire, c’est plus facile. Mais ce n’est pas obligatoire. Souvent quand je sais avec quel dessinateur je vais travailler, je connais son travail, donc je peux découper l’histoire jusqu’au bout. »

Chez Sylvain Cordurié, le storyboard est toujours le fruit d’échanges divers. « Le dessinateur reçoit mon découpage, le fait traduire s’il est étranger – je bosse avec beaucoup d’étrangers – ou se débrouille avec Google Translate, ce qui est un cauchemar pour lui comme pour moi, et commence son travail en fonction de cela. Je ne suis pas un scénariste qui propose directement des boards. Je reçois ceux des dessinateurs, et je modifie, je regarde si la structure de la case, de la planche, fonctionne… C’est un jeu d’équilibriste pour trouver le juste équilibre entre le visuel et l’écriture. Je fais des modifications, j’accole les bulles, j’essaye d’équilibrer de la meilleure manière tout cela. Il y a un vrai travail sur la structure de la page, sur la composition, pour avoir la narration la plus fluide possible. Comme je travaille avec des auteurs de différents horizons – soit de très jeunes dessinateurs franco-belge qui ont très peu d’albums derrière eux, soit des dessinateurs étrangers – j’ai une culture du franco-belge qui est plus fluide que la leur. Cette aptitude à travailler sur les boards, c’est vraiment de très loin l’étape la plus décisive. L’idée est d’avoir, à la fin, la narration la plus fluide possible. Ensuite, je renvoie les boards avec les dialogues au dessinateur, qui peut donc voir exactement comment est composée chaque étape. Il peut alors travailler à la finalisation des planches. Je connais assez bien mes forces et mes faiblesses : je sais que j’étais un mauvais dialoguiste, mais je sais aussi que ma culture visuelle me permet de tirer le meilleur des dessinateurs avec lesquels je travaille. Pour un dessinateur, c’est à la fois chiant et rassurant : chiant d’avoir tout le temps quelqu’un derrière, rassurant car on ne perd pas de temps. Et j’ai la confiance de mon éditeur là-dessus aussi. Beaucoup d’auteurs ne font pas ce travail de suivi, parce que ce n’est pas le leur, à la base. Le schéma général c’est : le scénariste écrit, le dessinateur dessine et envoie à l’éditeur. Mais dans le monde de la BD, le schéma général est beaucoup plus souple, et le monde de la BD n’est fait que de cas particuliers. »

À suivre Partie 3 : Secrets de scénaristes

S’adapter au dessinateur, faire le suivi éditorial avec le dessinateur ou encore organiser sa vie au quotidien et sur plusieurs séries…. mais aussi quelques conseils & astuces de pro à suivre dans l’article suivant !

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Illustration principale : © Sylvain Cordurié/Laci extrait de Sherlock Holmes
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