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par Alfro - le 3/04/2015
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par Alfro - le 3/04/2015

Dossier Premium : Mœbius et les États-Unis

Mœbius est probablement l'un des auteurs de BD aura le plus voyagé de par le monde, influençant des générations d'artistes de pays bien différents. Même Jirô Taniguchi, qui n'est a priori pas le dessinateur qui est le plus proche du style de Jean Giraud, a livré un hommage vibrant au créateur des pages de Métal Hurlant avec son Ice Age Chronicle of the Earth. Si Gir a eu des liens forts avec le Japon, il en va de même pour les Etats-Unis où il a même vécu.

Jean Giraud va avoir dès l'enfance un aperçu de l'esprit américain. Bien qu'il soit né à Nogent sur Marne, il va vivre chez sa mère durant neuf mois, au Mexique. Il racontera plus tard l'importance de cette expérience, comment les paysages désolés du désert mexicain vont profondément marquer son imaginaire. C'est tout naturellement que sa première BD au long cours sera donc Blueberry. Ce western âpre et aride porte déjà la marque d'une influence hollywoodienne. Les films de John Ford et Sam Peckinpah habitent chacune des ces cases. Celui qui se fait encore appeler Gir montre déjà son obsession pour une BD faite d'espaces, qui appelle à de nouveaux horizons.

La suite de sa carrière à Métal Hurlant, quand il prend le pseudonyme de Mœbius, montre encore mieux cette influence américaine sur l'artiste. Il va y publier histoires de science-fiction qui ne peuvent cacher l'influence du cinéma de série B ou des pulp comics. S'il réinvente le genre, tout en repensant l'outil bande dessinée, sa filiation avec une SF au ton résolument américain est évidente. Cette impression va s'amplifier avec la publication d'Arzach, révolution artistique dès sa sortie, cette BD dénuée de tout dialogue traverse le long de son voyage onirique des paysages minéraux et désolés. Giraud déverse dans cette œuvre ce qu'il a de plus intime, dont ce choc face au décors mexicains.

C'est aussi à cette période qu'il rencontre Alejandro Jodorowsky, artiste aussi plus cosmopolite que chilien avec qui il partage les mêmes pensées hallucinées, à l'imaginaire tout aussi foudroyant que le sien. Leur première collaboration se fera lorsque le dessinateur réalisera l'affiche d'El Topo, western psychotrope de Jodorowsky, et qui montre leur adhésion mutuelle à un mouvement de pensée qui provient de la côte Ouest des Etats-Unis en ce début des années 70.

Arzarch avait déjà remué pas mal des codes de la BD classique. Pourtant, Mœbius était en grande forme et publia dès l'année suivante Le Garage Hermétique. Là où Arzarch stupéfiait par son dénuement, l'âpreté du récit et de son univers, cette nouvelle œuvre frappe par l'explosion organique de nombreux mondes merveilleux . Une écriture automatique (principe surréaliste) au service du scénario, et un dessin qui ne connait plus aucune limite, servent une bande dessinée qui montre toutes les influences qui habitent le cerveau-éponge de son créateur. Ces univers alternatifs multiples vont essaimer leurs graines dans l'imagination de nombreux lecteurs.

Arzach et Le Garage Hermétique vont, grâce à leur approche révolutionnaire, faire connaitre Mœbius de par le monde. Il va ainsi attirer l'intérêt d'une nouvelle forme d'art pour lui, car le cinéma va commencer à se pencher sur son cas. Il va ainsi retrouver Alejandro Jodorowsky, qui est en train de préparer un space opera des plus ambitieux, l'adaptation de Dune, le best-seller de Frank Herbert. Pour sa première véritable approche d'Hollywood, Jean Giraud va connaitre un véritable development hell, le film ne sortant jamais. L'expérience sera magnifiquement relatée dans le documentaire Jodorowsky's Dune.

Sa tentative suivante sera bien plus concluante. En 1977, Ridley Scott se fournit directement chez Métal Hurlant pour son prochain film. Puisqu'en plus d'avoir découvert H.R. Giger grâce à un tableau présent dans la rédaction de Jean-Pierre Dionnet, le réalisateur britannique va demander à Mœbius de concevoir les costumes d'Alien, le Huitème Passager. Le dessinateur va créer un ensemble graphique qui va marquer durablement (et qui continue d'inspirer si l'on en croit Moon de Duncan Jones). Le film sera un succès et validera le travail de Giraud pour le cinéma hollywoodien qui ne va pas tarder à faire de nouveau appel à lui.

C'est en 1982 qu'il reçoit un appel de Disney. Ils veulent en effet que l'artiste s'occupe des costumes et du décor de leur prochain film : Tron. La réflexion sur les mondes virtuels intéresse évidemment Mœbius qui va livrer un travail qui va grandement marquer. En effet, difficile d'oublier la direction artistique du film de Steven Lisberger qui laisse une empreinte forte avec ces lignes pures et fluos. Il sera aussi au générique des Maîtres de l'Univers, le film avec Dolph Lundgren qui se basait sur les figurines de Mattel. Il a aussi travaillé sur Willow et Abyss de James Cameron, mais sans que son travail ne soit validé. Plus inattendu, il travaillera aussi sur des designs de personnages et de décors pour Space Jam. Oui, le film avec les Looney Toons et Michael Jordan.

Si le cinéma américain attire fortement Jean Giraud, il n'en oublie pas celui de son pays. Ainsi, Réné Laloux va faire appel à lui pour Les Maîtres du Temps. Pour ce film d'animation qui adapte le roman de Stefan Wul, il va écrire avec Jean-Patrick Manchette le scénario et réaliser les dessins qui serviront de base aux animateurs. Un petit bijou passé relativement inaperçu, surtout à cause de techniques d'animation qui n'étaient déjà plus dans l'air du temps. Plus proche de nous, Luc Besson a aussi appel à Moebius pour l'aider sur la direction artistique du Cinquième Elément, ce qui voit énormément dans le film.

Pour valider définitivement son intérêt pour les Etats-Unis, Mœbius déménage à Los Angeles en 1988. Il va y rencontrer un certain Stan Lee. Ensemble, ils vont imaginer une nouvelle histoire pour le Surfeur d'Argent. Le personnage créé par Lee et Jack Kirby inspire forcément par sa cosmogonie et son destin tragique le dessinateur français. Ce Silver Surfer : Parable délivre un récit aussi onirique que métaphysique, une vision apocalyptique à la narration éthérée. Superbe et qui montre tout le talent de Moebius pour l'adaptation, se réappropriant les codes du comics pour les amener sur son territoire.

C'est l'époque où Jean Giraud s'intéresse énormément aux super-héros. Leur simplicité graphique associée à leur dimension de mythe moderne passionne l'artiste qui n'hésite pas à prolonger son partenariat avec Marvel. En effet, il va le temps d'une série de couvertures se réapproprier les fameux personnages de la Maison aux Idées. Ainsi, Spider-Man, Wolverine ou Daredevil, mais aussi le Punisher, Elektra ou la Chose, vont passer sous son crayon, le temps de prendre une dimension mythologique (on vous laisse une galerie pour baver).

Pourtant, Giraud ne donne pas dans le corporatisme, et s'il s'est amusé avec les héros de Marvel, les dieux vivants de la concurrence l'intéresse aussi. Ainsi, il va aussi livrer des couvertures sublimes pour Batman et Superman. Puis sur sa lancée, il va aussi aller du côté des petits éditeurs, chez Milestone Comics avant qu'ils ne se retrouvent dans le giron de DC Comics. Il y dessine Static Shock et Hardware. Puis, ce sera la série Transmetropolitan de Warren Ellis qui va bénéficier de son art le temps de quelques couvertures d'anthologie.

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