Pour une fois, on ne vous propose pas une pépite dénichée derrière une étagère, ni un trésor exotique, mais bien le best-seller de l’année L’Arabe du Futur, premier volume d’une série de cinq qui remporte le Fauve d’Or du Festival d’Angoulême en 2015, avec un deuxième et un troisième tome parus cette année qui restent dans le top des ventes, cette autobiographie dessinée de Riad Sattouf est en passe de devenir son chef d’œuvre.
Avec Pascal Brutal (également Fauve d’Or du Festival d’Angoulême) et Les Pauvres Aventures de Jérémie, il crée des autobiographies imaginaires de loosers où se confondent parfois le réel et la fiction. Pascal Brutal va plus loin même en brisant astucieusement le 4e mur et le personnage s’épaissit d’une nouvelle dimension rapprochant encore plus la fiction et le lecteur.
Puis l’imaginaire laisse place au reportage, au réel. Durant neuf ans, il a dessiné dans Charlie Hebdo, La Vie secrète des jeunes : une chronique décapante du quotidien à partir de scènes vues dans la rue. Dans Les Cahiers d’Esther, il met en scène le quotidien d’une ado qu’il connaît dont il dessine une série d’anecdotes par année. Réalisant ainsi un portrait de la jeunesse contemporaine à travers ses obsessions, ses réflexions, ses rêves, ses tics…
Autre facette du travail de Riad Sattouf, sa casquette de réalisateur : Les beaux gosses (qui rafle 4 prix dont un César) & Jacky au royaume des filles. Deux très belles réalisations, qui confirment son talent pour évoquer des sujets profond à travers le rire sans être dans la caricature ou la parodie.
Mais ce sera dans l’autofiction qu’il trouvera sa voix la plus forte, Ma circoncision, Manuel du puceau et L’Arabe du Futur : série qui remporte le Fauve d’Or du Festival d’Angoulême au premier volume et reste épinglé depuis quatre volumes au top des ventes tous genres confondus en France.
La grande force de ces albums est la complicité qu’il installe avec son lecteur. L’autobiographie est racontée par le jeune Riad — né d’un père syrien et d’une mère bretonne, qui a ensuite habité entre Paris, la Syrie, la Libye et la Bretagne — et qui s’adresse directement au lecteur avec une franchise et un humour aussi désarmants qu’attachants. Le magnifique portrait de son père est méticuleux, raconté dans toutes ses contradictions, faisant ressortir cet étrange professeur obsédé par le panarabisme.
« — On dirait que le loquet est fermé !
– Bonjour mon frère c’est pourquoi ?
– Bonjour mon frère, qu’est-ce que tu fais chez moi ?
– Mais, mon frère, je suis chez moi ! La maison était vide…Le Guide a donné le droit à tous les citoyens d’habiter toutes les maisons inoccupés, tu sais bien.
– Je suis docteur à l’université moi ! Je vais aller à la police !
– C’est pas la peine, je suis policier… Va, pousse les portes, tu vas trouver une maison mon frère. »
Un chef de famille sans cesse en train de faire les mauvais choix pour ses proches. Il s’éloigne des siens, dans sa démarche conformiste de retour au pays. Une lente tragédie portée par le grotesque et l’amour qu’il y a dans toute histoire de famille. Avec ce livre, il n’éclaire pas seulement l’histoire personnelle de son enfance ; il garde une lucidité impitoyable, qui lui permet de sortir de ce regard particulier pour lui donner un aspect universel. Une porte d’entrée pour faire la lumière sur un contexte plus large, historique et culturel.
Le dessin, le traitement des couleurs nous emmène immédiatement dans son univers, et désamorce les situations terribles que nous sommes en train de lire. Son pas de côté graphique plein de digressions & de paratexte (didascalies, onomatopées, apartés au lecteur,…) lui permet d’aborder des sujets très forts avec beaucoup d’empathie ou de distance, en gardant le lecteur qui s’identifie à son héros. Un trait toujours à la limite du grotesque et de l’exagération, un jeu de couleurs symbolique qui lui permettent de dire beaucoup avec un trait épuré au maximum. Un idéal de lisibilité qui fonctionne vu le succès du titre.
Riad Sattouf est l’un des rares auteurs à avoir saisi quelque chose de notre époque avec autant de justesse et avec un trait qui porte son travail au delà du lectorat habituel du genre. Ses albums offrent une belle réflexion sur notre société tout en distillant leur humour pince-sans-rire unique.