Ce mois-ci, le dynamique Glénat Comics inaugure encore un nouveau format. Mais il fallait bien ça pour contenir toute la puissance de Golem, l'œuvre de l'artiste de LRNZ, italien de naissance mais citoyen du monde dès qu'on se penche sur ses sensibilités au neuvième art, qui ne cesse de s'enrichir d'œuvres toujours plus transversales.
Une fois n'est pas coutume, commençons par une présentation de l'auteur. Derrière les quatre lettres de LRNZ se cache Lorenzo Ceccotti, membre fondateur du collectif Supremici. Un artiste qui ne rentre dans aucune case : designer, peintre, animateur et scénariste, ce touche-à-tout, comme ses pairs, ne pouvait s'empêcher de nous offrir une œuvre colossale qui digère toutes ses casquettes et ses influences. Cette œuvre, c'est Golem, une bande-dessinée qui n'a finalement de comic book que le nom. Car comme tous les travaux des créateurs polyvalents - ou plutôt multi-spécialistes - les étiquettes ne tiennent pas longtemps sur ce joli pavé, enveloppé dans une édition souple chez Glénat Comics.
L'éditeur, dépoussiéré l'année dernière, tient ici l'une de ses petites pépites, tant l'album diffère de tous les autres titres de son catalogue. Et en bien, assurément, puisqu'on se rejouira de commencer l'année sur un bouquin aussi riche d'influences que de sens. Mais revenons à nos moutons : Golem est une histoire d'anticipation qui se déroule dans une Italie futuriste, et plus généralement dans une Europe teintée de science-fiction. C'est dans ce contexte qu'un petit garçon, Sténo, va se retrouver au cœur d'une intrigue géo-politique d'envergure.
Au même titre que d'autres romans graphiques comme V pour Vendetta, Golem entend donc nous plonger dans le quotidien d'un état dystopique - ici l'Italie - qui sert de cible à l'auteur, qui va tirer sur toutes les dérives de notre société. Et à l'heure où notre propre pays s'enfonce dans des principes toujours plus sécuritaires, l'œuvre de LRNZ aura une résonnance toute particulière. Il serait d'ialleurs trop long d'énumérer tous les aspects de la longue satire de l'auteur - et se ne serait de toute façon pas lui rendre service - mais au fil de l'album, on ne pourra que reconnaître son talent pour le genre, qui transparaît dans chaque case, chaque bulle ou dans les très belles pleines-pages, qui peuplent en nombre ce bel album.
Et dans une ironie plutôt lourde de sens, ce sera avec des influences venues des quatre coins du globe que LRNZ critiquera une société mondialisée. Et lorsqu'un artiste citoyen du monde et enfant de toutes les bandes-dessinées élabore un message alter-mondialiste, le résultat ne peut être que spectaculaire. Mais comme le faisait remarquer le critique Adriano Ercolani (de fumettologica.it) dans un texte que Glénat glisse en guise de bonus à la fin de cet album, il serait stupide de comparer le style de LRNZ à ses influences : les pages de Golem ne sont pas un hommage ou une réinterprétation, elles sont la plus pure intégration, par l'auteur, des travaux de maîtres comme Frank Miller, Moebius ou Tezuka, et vivent d'elle-même.
Tout simplement parce que l'auteur parvient, progressivement, à s'extraire des codes séquentiels et narratifs classiques, comme l'avaient fait avant lui les artistes qui l'inspirent. Et si cette originalité se fait parfois au détriment du sens ou du confort de lecture, on ne peut que saluer la prise de risque de LRNZ et de son Golem, qui s'affranchissent des canons pour nous offrir de vrais moments de bravoure - je pense notamment à un flashback sorti de nulle part transformant d'un seul coup notre vision de l'antagoniste, qui n'aurait pas été permis dans une narration et des gaufriers plus académiques.
Dans le même ordre d'idée, on notera que LRNZ ne manque pas une seule occasion de transcender ses propres standards. Si nos héros enfilent une sorte de casque de réalité virtuelle capable d'anticiper les mouvements d'un adversaire, le dessins et les couleurs changent ainsi radicalement, par exemple. Dans une sorte d'auto-challenge, l'artiste italien nous offre donc une expérience qui se veut immersive, et qui peut compter sur son dynamisme, graphique comme narratif, pour nous tenir en haleine.
Ajoutez à cela une ambiance qui fait bon usage des talents de l'auteur pour les logos et l'élaboration de concepts instantanément accrocheurs, et vous obtenez une formidable odyssée, qui en met certes plein la vue, mais aussi plein la tête. Seul bémol, Glénat n'encourage pas forcément les curieux en affichant un prix de vente de 25 euros dans les rayons. Un peu onéreux pour un album riche de 280 pages certes, mais proposé sans bonus ou couverture dignes de ce nom.
On pensait s'habituer à tout, même au talent de Glénat Comics pour dénicher des petites pépites. Mais force est de constater que Golem, œuvre qui transcende ses influences et son sujet, transcende également le catalogue de l'éditeur, qui ne cesse de nous étonner. Un roman graphique unique, à mi-chemin entre la BD d'anticipation et un film d'animation de Miyazaki - mince, on s'était pourtant promis de ne pas étiqueter ce très bel album.