Une fois n'est pas coutume, je manquais de mots pour décrire mon expérience de lecture après avoir refermé ce premier tome de Sex Criminals, série consacrée aux Etats-Unis qui arrive en France sous la bannière de Glénat. Il faut dire que nous sommes sans doute face à un nouveau chef-d'œuvre, signé Matt Fraction (au scénario) et Chip Zdarsky (au dessin).
Ne vous fiez pas à son titre un peu sulfureux, Sex Criminals nous raconte une histoire d'amour. Mais sous une forme tout à fait originale. Avec ce bel album, Matt Fraction s'exerce à une narration non-linéaire, mais toujours maîtrisée, qui nous maintient en haleine et qui propose son lot de suprises. Mais ce qui surprend plus encore que ce story-telling inventif, ce sont les dialogues livrés par l'auteur. De vraies petites merveilles d'humour et de puissance qui viennent combler les phylactères offerts par cette intrigue semblable à aucune autre, dans laquelle deux amants se rendent compte qu'ils peuvent arrêter le temps après avoir fait l'amour. L'occasion pour eux de vivre dans une bulle, et pour quelques instants, s'extraire de ce bas-monde et de ses exigences.
Avec ses dialogues, Sex Criminals fait passer énormément de choses, et se montre très pertinent à tous les niveaux, même dans l'utilisation intensive du quatrième mur, qui se voit, comme dans tous les travaux récents de Fraction - on pense à Casanova, notamment - régulièrement brisé. Pour plus de fun certes, mais aussi plus d'impact narratif, plus d'ouvertures à la réflexion. Le scénario fait ainsi passer plusieurs messages, non sans un certain sens de l'humour, qui est parfois presque déroutant.
Les sujets n'en sont pas moins intéressants, voire essentiels. Vous l'aurez compris, Sex Criminals s'emploie à dédramatiser le sexe et à briser ses tabous, mais au-delà de cet aspect libérateur, la bande-dessinée s'attaque à de vraies questions. En vrac, on notera l'éducation sexuelle selon le système scolaire, les jeunes cupabilisés pour leurs questions sur le sexe, le consentement, le viol, et dans un tout autre registre, la défense des livres et de la culture. Et si la série n'est pas tendre avec Hollywood et Wall Street, visés dans quelques pics bien sentis, c'est surtout dans les questions qui entourent l'acte charnel que Sex Criminals se révèle la plus pertinente, à tel point qu'on interprète volontiers cet album comme un petit manifeste progressiste.
Et c'est d'autant plus vrai que Matt Fraction écrit aussi bien les hommes que les femmes, les héros que les héroïnes : attendez-vous à tomber amoureux de ce couple hors-norme façon Bonnie and Clyde, John et Suzanne, deux personnages tout simplement géniaux, et sublimés par le talent de Chip Zdarsky. Puisqu'on parle de dessins, il faudra noter la patte minimaliste de l'artiste, qui offre à Faction le parfait écrin pour ses dialogues, et qui ose parfois jouer avec les codes de mise en page lors des moments forts de cette histoire loufoque. Le scénario et les dessins ne font alors plus qu'un, comme c'est le cas dans toutes les grandes œuvres du neuvième art.
En somme Sex Criminals est une bande-dessinée profondément progressiste, portée par de saines ambitions et une réalisation certes à la cool, mais qui va bien au-delà des tendances pour livrer une histoire originale et de belles réflexions. Un incoutournable qui se voit chouchouté par l'édition de Glénat, forte de belles finitions - en temoigne le vernis sélectif de la couverture - d'une belle mise en page et de quelques bonus. A lire d'urgence.