Cette semaine, aux côtés des parutions anniversaires d'Urban Comics, on retrouve le second volume de Suiciders, dernière série d'ampleur de l'imprint Vertigo servie par l'auteur/dessinateur Lee Bermejo. Il n'est ici qu'à l'écriture, Alessandro Vitti se charge de son côté du dessin. On y retrouve une vision différente de New Angeles, cette fois de l'autre côté du mur.
Machettes et politique
Rappel des faits présentés dans le premier volume : un immense tremblement de Terre fend la côte Ouest des Etats-Unis. Los Angeles est fragmentée, et se relèvent deux factions des décombres. Une ville haute s'instaure pour les riches, les travailleurs, derniers restes d'une civilisation qui se coupe des autres, piégés derrière une impénétrable muraille. On suivait au départ le Saint, gladiateur d'un sport futuriste ultra-violent et superstar de la cité, les Suiciders. Dans ce second tome, Bermejo prend le pari de s'éloigner de sa première idée, pour plonger au coeur d'un monde plus sale, plus favelas, dans le ghetto des ruines de l'ancien monde.
On y suit un récit croisé fait du portrait de plusieurs personnages, tous incarnant une facette de la façon dont le séisme a défiguré l'humanité. Une ancienne gloire des combats, un tueur cannibale, et les jeunes qui n'auront jamais connu que la vie dans les décombres et se seront organisés au sein de gangs. Le scénario de Bermejo est bon, pas exempt de défauts mais riche en thèmes. L'auteur réussit à incarner son idée d'après-monde social et politique, qui parle autant d'économie que de ghettoisation des quartiers pauvres, et bien entendu, d'immigration - avec une lecture, bien sûr, du présent.
New Angeles en deux crayons
Suiciders fonctionne comme une belle métaphore, avec l'accroche de ce sport brutal qui ne sert en fait que de toile de fond. Le récit se rythme aux travers de passages sordides bien mis en scènes par le trait sale d'Alessandro Vitti et de son encreur Gerardo Zaffino. Là où Bermejo a généralement tendance à rendre sa mise en scène esthétique même dans ses parures les plus trash, le changement de dessinateur accompagne un changement de perspective sur le récit. Plus crade, le décor appelle un autre trait, et les personnages hyper expressifs de Vitti fonctionnent dans ce nouveau contexte, unifié au premier par les couleurs de Matt Hollinsworth.
Donc, en résumé, c'est beau, c'est bien écrit, le problème est plus à trouver dans le rythme et le manque d'enjeu de certains passages ou une fin qui se discute - en cherchant trop à imiter le twist du premier. Mais Suiciders reste une vraie bonne lecture, qui pose comme Southern Basterds l'idée du lieu comme personnage principal. Lost Angeles est un décor superbe qui prouve déjà sa richesse en évoluant à travers les artistes. On attendrait une suite, si l'auteur lui-même donnait signe de vie.
Bref, des bastons de rues, un message politique, la mort, le désespoir - on aime. Bermejo a entre les mains un univers intéressant à fouiller, capable de brasser tout un tas de thématiques sociales pertinentes aujourd'hui. L'accroche des gladiateurs du futur n'aura été que la porte d'entrée de l'auteur dans le milieu du scénario original, et à défaut d'être dans le peloton de tête des séries à suivre, ce premier (et second) essai est largement convainquant.