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Édito
par Thomas Mourier - le 9/12/2024
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par Thomas Mourier - le 9/12/2024

Interview de Xavier Fournier et Jean-Philippe Martin pour Super-héros et Cie, l’art des comics Marvel

Actuellement ouverte au Musée de la bande dessinée à Angoulême —et visible jusqu’au 4 mai 2025— cette grande exposition forte de 230 planches originales et 90 artistes de comics représentés propose un voyage inédit dans les coulisses de Marvel par le prisme de ses auteurices, concepts et de ses personnages clefs.

L’affiche originale signée Olivier Coipel

Avec une affiche originale signée Olivier Coipel, cette exposition autour de la maison des idées est riche de découvertes sur presque 500 m2 et mise en valeur par une scéno immersive. On y trouvera des planches originales, des fascicules, mais également des objets liés aux comics, des vidéos et une reconstitution en réalité virtuelle des bureaux de Marvel dans les années soixante. 

Cette exposition proposée par la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image d’Angoulême s’est dotée de deux co-commissaires d’expo avec le journaliste, réalisateur et essayiste Xavier Fournier & Jean-Philippe Martin, conseiller scientifique à la Cité de la BD et critique. 

C’est en leur compagnie que j’ai pu découvrir cette exposition et je vous propose une interview copieuse pour en comprendre tous les secrets, les origines et les ambitions —avant d’aller y faire un tour vous-même, je l’espère, pour rappel, l’exposition sera ouverte durant le FIBD (toutes les expos à découvrir ici) et se prolongera jusqu’au 4 mai 2025. Bonne visite ! 

Aux origines de l’expo : le leg Marvel

Xavier Fournier : Marvel a fait don de ses archives au musée —un stock de 475 000 comics— via une association. Et sur ces 475 000 il y avait beaucoup de doublons qui ont été offerts à d’autres grandes bibliothèques, médiathèques en Europe ; mais aussi détruits parce qu’il y avait des caisses avec 50 exemplaires, et personne n’avait le droit de les vendre ou de les donner à des particuliers. Mais, même avec ce qui reste, c’est le fond le plus important —au moins en Europe— de fascicules Marvel détenus par une institution.

Jean-Philippe Martin (à gauche) & Xavier Fournier (à droite) dans leur expo / Photos de l’expo ©Thomas Mourier

Est-ce qu’il y avait des documents de travail, des archives également ? 

Jean-Philippe Martin : En 2024, on a reçu un container entier avec des revues qui étaient en double, triple, quadruple exemplaire, etc. On pense maintenant qu’il s’agissait pour Marvel de déstocker des entrepôts et donc de se débarrasser d’invendus. Il n’y avait pas de documents, ce n’était pas des archives de Marvel.

La première proposition de Marvel portait sur un million d’exemplaires —impossible à récupérer. C’était trop conséquent, à la fois en transport et surtout en conservation— et puis on était persuadé que c’était toute la production, année par année. 

On a discuté et on a transigé dans la négociation pour demander tout ce qui était plus ancien, grosso modo un peu des années 1950 jusqu’au début des années 1990. La période qui a été la plus nourrie, quantitativement parlant, c’était les années 1970 : là, on avait des séries complètes, des titres intéressants, importants. 

Xavier Fournier : Et c’est resté dans les cartons pendant un moment, parce qu’il fallait d’abord faire l’inventaire de ce qu’il y avait dans ces revues, et puis —pour le dire franchement— peut-être qu’au niveau de la direction des institutions locales il n’y avait pas une grande priorité, une grande envie de se précipiter sur les des comics américains.

Et Jean-Philippe voulait y aller. Au fur et à mesure que ces personnages font parler d’eux, il a trouvé un peu plus d’écho parmi les décisionnaires pour enfin faire cette grande exposition Marvel qui aurait pu arriver quelques années plus tôt. Ils m’ont demandé de les rejoindre pour apporter un regard plus en profondeur dans l’univers Marvel. 

Le deal d’origine, c’était de partir sur une expo de 13O originaux —  on s’était dit qu’on ne trouverait pas grand-chose en planches originales en France, en Europe — mais en fait, on a eu une surprise heureuse : on s’est rendu compte qu’il y a beaucoup de collectionneurs en France qui avaient beaucoup de choses. Y compris des choses jamais exposées.

Au bout du compte, on s’est surtout concentré sur cette masse de planches originales très intéressante : vous allez voir plein de classiques. C’est un événement en soi qu’elles sortent des placards ! Et puis on a quelques planches étrangères dont certaines d’auteurs qui travaillent en numérique. 

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

L’exposition a changé depuis les premières intentions ? 

Xavier Fournier : On a 230 planches au final et le projet a grandi pour deux raisons. D’abord, la réorganisation du musée a fait qu’on a pu dégager une pièce en plus et à peu près au même moment, on a un collectionneur qui s’est rajouté sur le projet. Il avait entendu parler de monter une exposition, il s’est signalé. 

J’avais déjà fait mon plan de table en 130 planches et je me demandais comment lui dire poliment que c’était bon. Mais les gens du musée y sont allés, m’ont envoyé des photos et je suis resté debout jusqu’à 3 heures et demie du matin en ouvrant chaque fichier ! 

C’est quelqu’un qui vivait aux États-Unis dans les années 80, à l’époque où les planches n’étaient pas très chères, et qui avait pris pour habitude d’aller voir Jack Kirby à peu près trois fois par an et lui acheter des épisodes entiers directement. Pareil pour John Buscema et quelques encreurs. Et il a plus de 600 planches originales et le plus dur, c’était d’ailleurs de choisir. On avait déjà 130 planches, et on a pu arriver à le convaincre de nous en prêter une centaine. 

Comme on a 230 planches, on va profiter de la rotation, puisqu’on ne peut pas laisser les planches exposées au-delà d’un certain temps à la lumière —même la lumière d’un musée— vers fin décembre sans doute, on va procéder à une mise à jour de l’exposition. Et, plutôt que remplacer par des fac-similés, on a ces planches qui sont là. Ça nous permet de dire à ceux qui l’ont vu cet été, de revenir au moment du festival et ils verront une exposition à 40% différente.

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

Jean-Philippe Martin : Pour la plupart des collectionneurs, le fait de montrer de manière significative que le Musée de la bande dessinée s’intéresse enfin aux comics a été vécu pour la plupart de ces collectionneurs, comme une forme de reconnaissance pour leur passion, pour l’intérêt qu’ils portent à ce genre. Et ils étaient même beaucoup plus généreux qu’on ne leur demandait.

Xavier Fournier : C’est plutôt des gens qui ont vécu ces années 70-80-90 où ça allait quand vous lisiez une histoire de super héros à 12 ans, mais on commençait à vous regarder d’un drôle d’air à partir de 16 ans. Et ça redevient bien vers 29 ans parce que les gens pensaient que vous les achetiez pour vos gamins. Ça a longtemps été un plaisir honteux de lire des comics en France.

Le fait que cette fois-ci, c’est au Musée de la BD d’Angoulême, c’est non seulement une reconnaissance des comics, mais je pense que dans le cadre de nos prêteurs, ils l’ont pris par extension comme reconnaissance de leurs artistes préférés, de leur goût. Toute cette partie du boulot était super agréable.

Je me suis retrouvé devant des choix cornéliens parce qu’on ne pouvait pas tout prendre, qu’on voulait aussi de la place pour avoir une grande diversité, donc même des seconds couteaux. On a 90 artistes différents dans l’exposition, et il a fallu faire des choix. Il faudra faire d’autres expos [rires] 

L’ambition n’était pas de couvrir l’histoire de Marvel ? 

Jean-Philippe Martin : L’intérêt de faire cette expo n’est pas de raconter une histoire de Marvel de manière encyclopédique, notre souhait était de mettre de la bande dessinée en valeur dans le musée, et revenir aux sources. 

Xavier Fournier : Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, on parle d’un autre Marvel. Ça peut paraître cliché de dire ça, mais là on présente un Marvel encore artisanal alors qu’aujourd’hui on parle d’un Marvel devenu industriel. 

Ce n’est pas forcément un mal, mais vous prenez plus de risques quand vous n’avez rien à perdre, que quand la licence représente trente milliards de dollars. Donc, vous avez des pages qui parlent de drogue ou de satanisme, alors que ce n’est plus le cas aujourd’hui. Je fixerai la barrière vers 2016 au moment où les personnages sont exploités au cinéma et qu’il ne s’agirait pas de le salir par un truc comme ça.

En demandant des archives à Marvel, ce serait devenu un produit officiel et on aurait perdu ce regard historique. Parce qu’il aurait fallu que ça soit plus lisse. 

Jean-Philippe Martin : Cette exposition se fait dans le Musée de la bande dessinée français avec une perspective réellement patrimoniale, sans ambitions commerciales ou autres, et donc on n’allait pas dénaturer cette histoire. Ce n’est pas une expo officielle de Marvel, mais inspirée librement de Marvel.

Et dans le livre qui accompagne l’exposition, vous avez choisi avec Panini les histoires qui le composent ? 

Xavier Fournier : À part une —d’Ed Brubaker qui nous semblait bien compléter l’ensemble— toutes les histoires correspondent à une planche qui est dans l’exposition. Ça permet de voir la planche dans son jus ; et dans cet esprit de montrer des styles très différents, quelqu’un qui part avec cet album a un sampler d’histoires historiques, plus modernes…

Il y a par exemple, les Inhumans de Paul Pope, dont la planche qu’on a est un peu plus pop que tout ce qui se faisait dans les années soixante. Avec Panini, on a vraiment travaillé main dans la main. En regardant ce qu’on avait comme planches pour proposer des histoires cool et symboliques. 

Des 4 Fantastiques à Spider-Man 

Xavier Fournier : Dans la version 130 planches de l’expo, on avait trois grandes salles. Il nous semblait logique de partir sur des trois grandes équipes de Marvel, que sont les Fantastiques, les Avengers & les X-Men. À plus forte raison parce que cette approche thématique nous permet de caser les Fantastiques au début, et il y a quand même un accident de création avec les Fantastiques

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

Quelques mois avant, Martin Goodman, a décidé d’arrêter les frais —il a même envoyé deux fois, des ouvriers prendre les meubles en disant : « c’est bon, on arrête, on vire tout le monde »— Stan Lee, cousin par alliance de Martin Goodman lui a dit « laisse-nous ne seconde ou une troisième chance ». C’est en regardant les chiffres de vente de DC, qu’il se rend compte qu’avec Flash, Green Lanterns et la Justice league, les ventes de super-héros décollent et il leur dit « faites-moi des super-héros. »

Leur premier essai, c’est un personnage qui s’appelle le docteur Droom —une sorte de prototype de Doctor Strange— qui se plante en 6 numéros. C’est un échec monumental. Mais le deuxième essai c’est les 4 Fantastiques

À cette époque-là, Stan Lee et Jack Kirby se lancent dans l’univers des 4 Fantastiques mais pensent que c’est foutu, que c’est une lubie de Goodman. Stan Lee commence à penser à l’après et il raconte dans ces mémoires que sa femme lui a dit : « perdu pour perdu, fait ce que t’as envie de faire ». Et ils vont commencer à faire parler des Quatre Fantastiques dans cet anglais vernaculaire, comme des gens de la rue. Un premier changement.

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

Et puis, entre les années 30 et 60, ils ont produit des westerns, des histoires militaires, mais aussi beaucoup d’histoires de monstres —des centaines d’histoires d’anthologie qu’on pourrait comparer un petit peu à la Quatrième dimension avant l’heure—et Jack Kirby, dans les Quatre Fantastiques, injecte un personnage qui s’appelle la Chose. Et ça, c’est un changement fondamental, parce qu’avant, quand vous regardez les super-héros de la concurrence —ce qui est à peu près notre, notre seul repère en la matière— vous avez quoi ? 

Vous avez des personnages qui sont hollywoodiens, qui ressemblent à des acteurs. Le beau est bien et le laid est méchant. Là, vous avez la Chose qui ressemble à un monstre, un héros qui n’est pas récompensé pour son héroïsme. Ils mettent en scène dans leurs histoires, le fait que la société ne récompense pas ce type-là. Autre trouvaille, La réaction du public, dans ces histoires-là, elle a une forme de réalisme, elle réagit comme comment on pourrait réagir nous. Ce fond de réalisme teinte vraiment l’univers Marvel par rapport à ce qui se faisait. 

Les Fantastiques, c’est un succès surprise. Ils vont chercher à reproduire la recette, avec à chaque fois une plus-value. En faisant de l’univers Marvel une fabrique d’anti-héros à l’heure de la guerre du Viêt Nam et du Watergate, ils sont fondamentalement en avance de 4 ou 5 ans sur l’opinion publique, et rejoints par le public un peu plus tard.

Les planches sont accrochées autour de panneaux thématiques, c’était pour réunir le public qui découvre et les visiteurs plus experts ? 

Jean-Philippe Martin : Notre première proposition était de capter le public dès l’arrivée dans l’exposition en passant par les groupes de super-héros. C’était la première proposition de Xavier et puis il y avait la question de comment on définit l’univers de Marvel : quelles sont ses spécificités ? Qu’est-ce qui fait la différence avec ses concurrents directs ? Etc… Et on a commencé une liste de thématiques liées à Marvel. 

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

Xavier Fournier : On a cherché les thématiques avant d’avoir les planches.

Jean-Philippe Martin : C’était une manière, en décomposant comme ça, de reconstituer —comme des pièces de puzzle— le portrait qu’on estime être celui de Marvel. Et c’est Xavier qui a établi les grandes thématiques et proposé cette répartition avec ce groupe de 4 planches à chaque fois. Des planches qui peuvent être du même auteur, mais en faisant attention à ce que ces planches illustrent les thèmes, et offrent aussi une diversité stylistique ou l’évolution des personnages. Tout en piochant chez les auteurs anciens et plus contemporains. 

Xavier Fournier : On s’est dit que c’était intéressant, d’une part, qu’il y ait certaines planches qu’on peut considérer comme des madeleines de Proust pour plusieurs générations de lecteurs. Et puis avoir aussi certaines planches, qui soient auto-explicatives : comme cette planche, dans la partie des Fantastiques où la Torche Humaine qui explique le fonctionnement de ses pouvoirs.

Si on avait plusieurs planches de Jack Kirby, on a essayé d’avoir des planches d’époques différentes, car son style a évolué. Ou des auteurs plus récents de manière à montrer qu’il y a différentes façons de représenter Spider-Man, de représenter la Chose parce que je me disais qu’il y a toute une partie du public qui entend souvent dire que « le cinéma Marvel c’est la même recette ». Ben non, ce n’est pas toujours la même recette : il y a des approches différentes suivant les époques, les auteurs, leur nationalité, leur culture, et c’est intéressant de montrer toute cette diversité. 

Et apparemment, depuis le début de l’exposition, ça marche bien mieux que ce que je pensais. Je vois vraiment bon nombre de néophytes ou de gens curieux qui sont juste venus parce qu’ils ont l’habitude de faire toutes les expos du musée et qui ressortent en me disant : 
« je n’avais pas compris que c’était si c’était si large. »

Dessin d’Olivier Coipel pour l’affiche / ©Olivier Coipel

Le but était d’avoir plusieurs niveaux de lecture, de la même manière que les comics ont plusieurs niveaux de lecture. On s’est dit qu’il y a plusieurs publics, et il faut que tout le monde trouve un peu à boire et à manger. 

C’est ce qu’on trouve sur l’affiche d’Olivier Coipel puisqu’on y voit des personnages anciens et d’autres plus modernes en avant-plan avec la famille Spidey.

Xavier Fournier : Le fait de demander à Olivier Coipel, un Français superstar aux États-Unis —pour montrer qu’il n’y a pas que les Américains qui, aujourd’hui, produisent des comics— et le fait qu’il fasse la mise en couleur à l’aquarelle : c’est une manière de montrer tout le reste, c’est une invitation. 

Stan Lee et la méthode Marvel

Xavier Fournier : La plus grande partie de l’expo s’intéresse surtout à Marvel, à partir du début des années soixante, quand Marvel est en vente et trouve une certaine pertinence sociale.

Mais on ne pouvait pas faire l’impasse sur un petit bout d’historique sur le Marvel des débuts et expliquer la « marvel way ». Le fait que les dessinateurs sont briefés par Stan Lee —au mieux ils boivent un café avec lui ou en petite réunion, avant qu’ils repartent chez eux travailler sur leurs planches— où Lee leur a juste dit qu’ « il y a un extra-terrestre à 5 bras qui va attaquer les Fantastiques cette semaine ». 

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

C’est à Jack Kirby, ou à d’autres, de se débrouiller pour faire 22 planches, et Stan Lee se contente de les dialoguer. Je dis se contente, mais ça a son importance, parce que les dialogues chez Marvel, c’est c’est déterminant. Stan Lee va prendre le biais de les faire parler en New-Yorkais —sauf Thor qui parle en anglais élisabéthain— il va les faire parler comme ça, ce qui va les rapprocher du lecteur : et dans les années soixante, ça va changer beaucoup de choses. 

Dans ces années formatives de l’univers Marvel, le dessinateur est, au bas mot, le co-scénariste —et parfois même carrément le scénariste, avec quelques grammes de dialogues de Stan Lee. Mais c’est quand même important, parce que Stan Lee fait la différence : par des décisions, des changements de scènes et ou même quand il faut justifier dans d’autres épisodes, les personnages qui sont apparus. 

Les gens qui voient Stan Lee comme le petit grand-père gentil des films Marvel studios, qui aurait tout créé dans l’univers Marvel sont dans l’erreur. Mais ceux qui crient au scandale en disant que Stan Lee est un escroc se trompent aussi. Même si vous n’avez que 5 à 10% de responsabilité dans l’invention de Spider-Man, des Fantastiques, des Avengers, de Thor, Iron Man et compagnie, ce n’est pas rien.

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

On voit ça aussi parce que certains de ses collaborateurs ont fait carrière après. Jack Kirby, par exemple : après son passage chez Marvel, il fera des choses géniales dans sa carrière, mais qui n’auront pas la même reconnaissance populaire. Il manque ce petit pourcentage de Stan Lee. Il nous a semblé important de l’intégrer.

Il nous a semblé aussi important de montrer —même si c’est symbolique— un coin de l’atelier d’un dessinateur comme ça pouvait se faire à l’époque. Les scénographes se sont basés sur des photos pour reproduire ce que pouvait être la planche à dessin de Jack Kirby

Et puis, en discutant de l’expo avec un dessinateur français qui s’appelle Mast —qui travaille aussi pour Marvel et qui prépare un documentaire sur les pères de Marvel comics [Fathers of Marvel Comics, à paraitre]— il m’avait expliqué qu’il avait fait les bureaux de la Marvel en virtuel. Mais qu’il n’avait jamais terminé parce qu’il ne voyait pas de débouchés. Le Musée a financé la fin des travaux et vous pouvez vous déplacer dans les bureaux de Marvel, vous pouvez changer de pièce ; et en plus, c’est mis à jour via un site internet, ça évolue.

Et cette petite salle permet d’expliquer qu’il y a des gens derrière. C’est intéressant de commencer par ça. On a aussi un triptyque de Carlos Pacheco qui représente les héros de l’univers Marvel en 1997 puis on a un submariner par Bill Evrett, le premier dessinateur de Marvel en 1939. Ce dessin là a servi à faire un poster et à l’une des tradings cards qui fait partie du 1er set de trading cards fait par Marvel en 1966.

Et comme l’évocation des bureaux dessinés par Mast date de 1966, ça me semblait une bonne manière d’expliquer comment on part du Marvel des années 1930 pour arriver au Marvel des années soixante —qui commence dans la salle suivante et qui est le vrai propos de l’expo. 

Est-ce qu’il y a des références au MCU, pour faire un lien avec les films ? 

Xavier Fournier : On a des planches qui datent du début des années 2000 d’Adi Granov, qui est un artiste qui a réinventé les origines d’Iron Man dans la saga Extremis avant de devenir l’un des designers de l’armure d’Iron Man dans les films. Il avait rendu l’armure compatible avec la réalité de ce qu’on pouvait faire à l’écran. 

On a deux planches des Ultimates dont une planche inédite, ce sont des planches qui définissent un petit peu l’esthétique des films. Les Ultimates, c’est du prêt à adapter pour Marvel. Pour la petite histoire, c’est Bryan Hitch, le dessinateur, qui a décidé que Nick Fury devait ressembler à Samuel Jackson ; mais personne n’a rien demandé à Samuel Jackson. Il se rend compte avec son agent qu’il est dans les comics et étant un geek, Samuel Jackson ne les attaque pas, mais demande : si un jour il y a un film, il incarnera le rôle.

Une exposition hors format

Xavier Fournier : Des expositions avec du John Buscema ou Jack Kirby il y en a déjà eu en France et il y en aura d’autres. Ma volonté était aussi qu’on puisse voir les seconds couteaux tel que Don Heck ou Gray Morrow qui a dessiné cette planche de Man-Thing — c’est la première planche, du premier épisode et la première apparition du personnage. Elle appartenait aux collections du musée. Et je pense que vous n’aurez pas 36 occasions de voir du Gray Morrow dans une exposition en France. 

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

Donc, on a cultivé cette volonté de montrer des gens qui n’ont pas eu la reconnaissance qu’ils méritaient de leur vivant et qui ont pourtant une identité graphique qui est instantanée. Cette planche-là ne ressemble à aucune autre de l’exposition, j’ai vu des ados rester bouche bée devant.

On parlait de turn-over, est-ce que cette planche ou d’autres seront remplacées par des planches plus grand public pendant la période du Festival de la BD d’Angoulême ? 

Xavier Fournier : Il y a beaucoup d’autres planches iconiques qui arrivent. 

Jean-Philippe Martin : On a une sélection très pertinente et très riche, et avec une matière qui est suffisante pour conserver le même niveau. On aurait pu avoir cette tentation d’offrir à un public estival —par définition un peu moins connaisseur de la bande dessinée— quelque chose d’un peu plus facile et réserver les belles pièces pour le Festival de la bande dessinée. Ça n’a pas du tout été notre approche ! L’idée, c’était de proposer au public quelque chose qui soit de la même qualité, qu’on soit connaisseur ou amateur. 

Xavier Fournier : Il y a aussi des planches qui ont une signification pour les lecteurs de longue date. Je vais prendre un exemple parlant (même si la planche n’est pas dans l’expo) : dans les X-Men de John Byrne, il y a une scène où Wolverine tombe au fond des égouts et se relève avec les griffes dégainées et dit en gros « maintenant, ça va barder ». Et l’épisode suivant, ils se refont tout le Club des Damnés et c’est cette scène qui officialise —des deux côtés de l’atlantique— le fait que Wolverine est le personnage le plus populaire des X-Men. On le sait quand on est lecteur de comics et cette scène n’a pas de signification pour un néophyte. Donc, à choisir entre plusieurs planches de même importance, je n’aurai pas forcément pris celle-là, mais je l’aime bien. 

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

Une des planches qui résume le plus l’état d’esprit de l’expo, en ce qui me concerne, c’est la planche de The Cat. C’est une série qui a duré 4 numéros chez Marvel dans les années 70, quand ils ont voulu aller sur un terrain un peu féministe, mais ça a été un échec à l’époque. Le personnage est totalement inconnu quand vous n’êtes pas un lecteur de 60 ans ; mais tout ça mis à part, graphiquement, cette image-là, elle a plein de valeur. Et même un néophyte peut la regarder en la trouvant jolie.

On a essayé de cultiver ce truc-là et, à côté, on a trouvé quelques planches iconiques qui ont une importance historique. Par exemple, l’épisode de la Torche humaine où on voit Captain America : il faut savoir qu’au début des années 60, Martin Goodman, le propriétaire de Marvel, était contre le retour de Captain America. Il disait que pour les jeunes des années 60 un vétéran des années 40, ça n’allait pas leur parler. 

Stan Lee et Jack Kirby étaient pour mais ils ne décidaient pas. Alors ils ont eu l’idée de faire cet épisode d’Human Torch, où un criminel se fait passer pour Captain America pour commettre plein de crimes. Finalement Human Torch le capture, le démasque et l’envoie en prison, et l’épisode se finit avec cette invitation « si cet épisode vous a plu. Écrivez à la rédaction et on vous ramènera le vrai Captain America ». C’est par ce stratagème que le que Stan Lee et Jack Kirby ont poussé public a demander le retour de Captain America. Donc ces planches on une importance historique qui est dingue. 

Pour le néophyte, ça reste une belle image avec Captain America, mais il y a un discours à plusieurs vitesses pour que ça soit un peu équilibré pour tout le monde.

Est-ce qu’il y a des auteurices qui souhaitaient être dans l’expo ? Qui ont prêté des planches ? 

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

Xavier Fournier : C’est plutôt nous qui les avons contactés. Mais oui, il y a une dizaine d’auteurs dont les styles venaient compléter ce qu’on n’avait pas, par exemple Stéphanie Hans, David Mack, Paul Renaud ou Monsieur Garcin qui fait les collages. 

Jean-Philippe Martin : Mais peut-être qu’en janvier après les visites, on aura certains auteurs qui viendront nous voir pour nous dire qu’ils auraient bien aimé être dans cette expo. Je m’y prépare un peu.

L’expo est ouverte depuis le 5 juillet, cette expo comics a reçu un bon accueil en amont du FIBD ? 

Xavier Fournier : Vincent Eches, le directeur de la Cité, a annoncé d’abord qu’au mois d’août le Musée a dépassé 2 fois son record d’entrées, ça équivaut à 19% d’augmentation du public. C’est une bonne surprise.

Jean-Philippe Martin : Du point de vue de l’institution, du Musée de la bande dessinée, on a mis du temps à mettre en avant et à ne montrer que cette production. Ça n’était jamais arrivé. Il y avait une forme, peut-être, de regard un peu condescendant, ce n’était pas d’un intérêt premier pour nos programmations et pour nos politiques d’achat. Même si on en était certain et convaincu, de l’intérêt, de la qualité à la fois des artistes de cette production, de l’importance historique que ça pouvait revêtir… mais jusqu’à présent on n’avait pas franchi ce pas-là.

Mais ça ouvre la porte —j’en suis convaincu— à la politique d’achat pour l’enrichissement des collections. En démarrant l’exposition, on a réalisé que ce n’est pas avec nos seules collections de planches originales qu’on pourrait faire une expression digne d’intérêt. Avec les fascicules il n’y avait pas de problème, mais il n’y avait pas de réelle politique d’enrichissement d’originaux de comics, c’était plutôt des achats d’opportunité. Mais là, avec cette expo, on a entamé cette politique d’achat en achetant des planches qui resteront propriété du musée et viendront enrichir ce fonds comics.

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

Xavier Fournier : Dans l’expo permanente du musée, il n’y avait pas vraiment de comics ? 

Jean-Philippe Martin : Si, parce qu’on raconte une histoire de la bande dessinée et il y avait un passage concernant les comics à travers les revues, à travers les publications.

Xavier Fournier : Et l’expo permanente est en refonte : il y aura une empreinte plus grande sur le comics…

Jean-Philippe Martin : Et enfin lui accorder la place qui lui revient dans l’histoire globale de la bande dessinée. 

Xavier Fournier : D’ailleurs, certains éléments de cette expo seront intégrés à cette exposition permanente.  

Questions de scénographie 

Comment vous avez travaillé avec l’équipe de scénographie ? Pas mal de volumes, statues ou silhouettes, comment avez-vous réfléchi à la scénographie avec Les Charrons (Pierre-Yves Guillot et Charlotte Soubeyrand) ? 

Jean-Philippe Martin : On a eu une équipe de scénographes qui était impeccable, parce qu’ils réagissaient assez vite. Et même pour des choses qui, sur le papier, commençaient à être un peu impossibles : rajouter des planches, remanier des endroits… Ils nous demandaient quelques heures et venaient avec une proposition ou une solution. 

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

On est parti en fait de la toute première réunion qu’on a eue avec eux où —mais on procède généralement toujours comme ça— on avait déjà un peu avancé sur le concept de l’exposition : donc la répartition dans les salles et les thématiques. 

À l’époque, la réflexion portait sur 3 salles et le projet scénographique a commencé à se bâtir sur cette première répartition.

On a commencé sur la base d’éléments ou de souhaits qu’on avait, par exemple ce mur de fascicules qui est à la fin de l’exposition. Je me rappelle dans les discussions, on se disait, comme on en a beaucoup qu’il faudrait qu’on ait un effet cumulatif avec des fascicules, sans savoir à ce stade quelle forme ça peut prendre. Finalement, il n’y a pas eu beaucoup d’allers-retours, on a travaillé avec des visualisations 3D. 

Xavier Fournier : On a fait une sorte de visite virtuelle de l’expo qui nous a permis de discuter sur la manière de faire.

Jean-Philippe Martin : Et ce sont des professionnels, ils ont vraiment l’habitude de la scénographie —alors pas uniquement des univers de bande dessinée. Ils travaillent à la fois pour l’art contemporain ou les musées d’archéologie— et ils nous ont fait des propositions scénographiques très travaillées et dans lesquelles on pouvait se projeter. Donc, ça a été assez simple. 

Et c’est la scéno —je pense au coin des héros urbain devant la réplique de l’immeuble new-yorkais— qui vous a poussé à présenter certaines planches ? 

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

Jean-Philippe Martin : Alors typiquement, c’est le genre d’idée qu’ils nous ont proposé, cette reconstitution de rue, avec un effet de plongée assez intelligent. 

Xavier Fournier : Dans la version 130 planches, on avait les Fantastiques, les Avengers et les X-Men. Spider-Man étant membre des Avengers, on avait glissé certains épisodes.

Et Vincent [Eches] nous a dit qu’on allait avoir un peu plus de place que prévu, parce qu’ils réorganisent les collections : il y avait un nouvel espace a occuper. 

Jean-Philippe Martin : Et on a récupéré 180-200 m2 et il fallait repenser l’expo.

Xavier Fournier : On a agrandi certaines pièces et plutôt que rajouter une 4e équipe : on s’est tourné vers le seul héros solo qui a la même importance que les autres piliers : Spider-Man —et par extension sur les héros urbains de Marvel avec Daredevil et Moon Knight. 

Pas mal de volumes, statues ou silhouettes et de vitrines, on y trouve quoi ? 

Xavier Fournier : Vous avez plein de versions internationales : versions françaises, versions québécoises, versions japonaises —comme cette édition de Captain America, parce que quand on connaît les conditions de créations de Captain America, ça ne coule pas de source— versions espagnoles, versions anglaises en grand format, versions allemandes et bulgares. 

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

On a aussi des tradings cards qui sont un élément important de l’économie des comics aux États-Unis et qui est un passe-temps populaire. Ça joue aussi un rôle dans le fait que la population aille au-devant des personnages. 

On a mis des portes pour évoquer le manoir des X-Men, avec des artworks dont on n’a pas les originaux, en face des vitrines qui ont un côté un peu techno. Il y a du John Cassaday, du Carlos Pacheco et les X-Men de Krakoa qui sont plus récents. 

Et puis Vincent Eches a pensé à sortir les vieilles bandes de Tac au tac —une émission qui date de 1972 sur l’ORTF—ou le jeu était de faire contribuer des dessinateurs différents. Je crois qu’il y a eu 8 émissions tournées aux États-Unis, avec parfois des auteurs français ou européens tels que Moebius ou Philippe Druillet, confrontés à Jim Steranko, John Buscema, Joe Kubert, Neal Adams… On a gardé dans l’expo celle qui a une certaine pertinence sur Marvel —celle où ils dessinent des héros DC ce sera pour une autre expo— mais ça à une petite touche finale qui permet de montrer que ces dessinateurs se connaissent et font un lien avec le franco-belge.

Je prends toujours l’exemple de Frank Miller, quand il dessine Ronin, il y a une influence de Moebius  ; quand il dessine ses Daredevil, il y a des influences manga ou celle de Will Eisner. Tous ces gens là sont très cultivés sur ce qui se fait de l’autre côté de la planète et sont capables de l’adapter à leur propre travail. Les frontières ne sont pas forcément là où on les met. Et puis, c’est une manière de montrer ces gens en train de dessiner.

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

Côté vidéo toujours, on a aussi 5 minutes d’interview de Chris Claremont, 5 minutes de Paul Renaud et 5 minutes d’Alexis Briclot, dans la salle où il y a les traductions étrangères. Comme je réalise des documentaires, j’ai regardé dans les chutes ce qui traitait de Marvel —et qui n’avait pas été utilisé— mais malheureusement je n’avais pas de dessinatrices pour respecter une sorte de mixité, mais j’aurais voulu. Heureusement la dessinatrice Stéphanie Hans a répondu présente pour intervenir dans le podcast de la Cité de la BD [à écouter ici] et expliquer son travail, ce qui équilibre un peu les choses.

Et pour ce mur de fascicules à la fin, il représente le leg dont on parlait au début ? Il en a beaucoup ?

Jean-Philippe Martin : On en a 250, c’est une infime partie de ce qu’on a, mais c’est assez représentatif : ça donne une idée assez bonne de la variété des publications et de la qualité des couvertures. 

Xavier Fournier :  Pour finir, l’exposition est dédiée à Claude Vistel, qui est décédé en décembre dernier. Il faut se rappeler que c’est elle qui a apporté les publications Marvel en France et a contribué à les faire connaître. Et une fois encore, je trouve que c’est important de rappeler qu’il y a des gens derrière ces trucs-là, ce n’est pas une usine Marvel qui fait des trucs à la chaîne.

Photos de l’expo ©Thomas Mourier

💡 Infos pratiques 

« Super-héros et Cie, l’art des comics Marvel »
Musée de la bande dessinée
Quai de la Charente
16 000 Angoulême

Horaires
Mardi au samedi de 10h à 18h
Dimanche & jours fériés de 14h à 18h

🔎 Pour aller plus loin

Marvel : Super-héros & cie, collectif. Album compagnon de l’expo pour y lire 6 histoires liées aux planches de l’expo. Couverture d’Olivier Coipel
Kirbysphere de Xavier Fournier sur l’oeuvre de Jack Kirby au sens large.
Un patrimoine narratif ? Réédition et univers fictionnel chez Marvel depuis les années 1960 par Jean-Matthieu Méon
La patrimonialisation comme promotion – et inversement. À propos d’une réédition Marvel par Jean-Matthieu Méon
Monuments, reconstitutions et produits dérivés. L’externalisation de la patrimonialisation par Marvel (1) par Jean-Matthieu Méon

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