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par Alfro - le 23/03/2015
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par Alfro - le 23/03/2015

Édito #34 : Reste-t-il de la place pour les shônen superstars ?

La problématique n'est pas nouvelle, loin de là, elle agitait déjà toutes les pensées des éditeurs japonais en 1995, lorsque Akira Toriyama les envoya tous balader en expliquant qu'il avait tiré sur la corde au maximum et qu'il était enfin temps pour lui de mettre un terme à Dragon Ball. L'angoisse qui suivit aussitôt était de lui trouver un remplaçant, une nouvelle série à succès qui porterait le Weekly Shônen Jump et avec lui l'industrie du manga (statistiquement et historiquement, le shônen est le genre le plus vendeur). Faut dire qu'ils s'étaient confortablement fait à l'idée d'être les leaders incontestés d'une industrie en pleine expension.

• Voir aussi : Vinland Saga - Tome 14, la critique.

Malheureusement, le manga phénomène de Toriyama cachait une réalité qui était bien plus globale que le seul domaine de la BD japonaise. En effet, l'explosion des ventes des magazines de prépublication n'était pas qu'à mettre sur le dos de Sangoku et ses potes, d'autres séries comme Hokuto no Ken avaient déjà créé l'événment sans fédérer à ce point. Ainsi, la fin des années 80 et le début de la décennie suivante vit une explosion littérale de l'art séquentiel sur l'ensemble du globe. L'Europe vit la BD devenir une industrie à grande échelle, les comics connurent un second âge d'or pendant lequel Jim Lee vendait un million d'exemplaires de son premier numéro des X-Men et le manga connu la croisssance en même temps que son explosion à l'international.

Comme dans toutes les autres branches de la BD, le manga subit un retour de bâton violent vers la seconde moitié des années 90 où les ventes chutèrent cruellement. Si Marvel frôla la banqueroute après avoir cru devenir le nouveau cador de la Bourse, les éditeurs japonais ressentirent bien moins l'impact de cette crise (qui n'était en fait que l'émissaire de celle, plus profonde, qui allait secouer les années 2000) et crurent pouvoir y résister en dénichant de nouvelles séries à succès. La Shûeisha s'est alors mis à signer de nombreux artistes à même de leur apporter le futur hit dont ils avaient besoin.

Ce n'alla pas sans mal et l'on commença à apercevoir les premières dérives d'un système soundainement obsédé par ses ventes. Ainsi, Nobuhiro Watsuki fit l'amère expérience de la nouvelle tendance : produire toujours plus d'épisodes quoiqu'il en coûte. Il sera alors forcé de rester sur sa série Kenshin le Vagabond bien plus longtemps qu'il ne l'aurait voulu et que son imagination ne lui permettait. C'est un auteur harassé et passablement dégoûté du milieu qui mettra enfin un terme à son manga, constatant amèrement que son refus de continuer va lui fermer toutes les portes, la Shûeisha semblant aussi rancunière que puissante. Il sera contraint plusieurs années plus tard de revenir sur sa création (qu'il ne possède plus, s'étant destitué des droits pour pouvoir l'arrêter contre l'avis de l'éditeur) car c'est bien tout ce qu'on lui laissait faire.


Certes, le Jump se refaisait une santé en dévoilant coup sur coup des séries comme One Piece, Naruto ou Bleach, on peut rajouter Fairy Tail qui lui parait dans le Weekly Shônen Magazine. Pourtant, même avec ces trois séries mégastars, le magazine ne se vendait plus autant qu'avant, les reliés marchaient bien mais pas tant que ça si l'on relativise avec l'inflation galopante de ces dernières années. En fait, ils amorçaient déjà leur mutation vers ce qui est devenu la nouvelle norme de l'industrie culturelle : l'exploitation de licences. Plutôt que de vendre beaucoup d'une œuvre, en la fignolant dans le moindre de ses aspects, ils vendent beaucoup autour d'une œuvre, ses produits dérivés, ses spin-offs et ses adaptations animées. Les trois shônens superstars précités sont ainsi devenus une véritable manne en devenant des objets de consommation à leur insu. Combiens de flms, jeux vidéos et autres figurines en sont tirés ? Beaucoup, énormément même.

Alors forcément, Naruto est fini, Bleach ne devrait pas tarder (en tout cas, ce serait bien) et seul One Piece continue son bonhomme de chemin, Eiichiro Oda n'ayant que peu de considération pour ces questions, son histoire lui important bien plus. Ce qui étonne, c'est que si l'on observe une certaine tension pour trouver la nouvelle série à même de les remplacer, lançant à grand renfort marketing des séries comme Seven Deadly SinsFood Wars ou Tokyo Ghoul, ils restent cependant assez sereins, affirmant même qu'Assassination Classroom est un succès immense alors que le manga de Yûsei Matsui est loin des sommets atteints par ses illustres prédécesseurs.

C'est que l'édition japonaise a bien observé Hollywood et s'est dit qu'elle aussi pouvait lancer ses propres licences. Ainsi, sans outrage envers leurs auteurs, des séries comme L'Attaque des Titans ou Sword Art Online ont été conçues tout autant par ceux qui allaient les vendre que leurs dessinateurs. L'équation entre le déploiement massif d'une promotion qui emprunte aux meilleurs idées du marketing et son impact sur les ventes est vite apparu comme très profitable. Il a toujours existé des "séries de producteurs" au Japon, Fly est après tout l'adaptation du jeu Dragon Quest, mais l'artillerie promotionnelle actuelle montre bien l'évolution d'un marché qui jette un œil sur l'étranger et surtout sur les chiffres qui s'agitent sur leurs tableurs Excel. Pas besoin de chercher le nouveau Naruto, il suffit de le fabriquer. Pourtant, la création originale est toujours aussi active, au lecteur de chercher par lui-même, lui seul devant être le baromètre de ses goûts. 

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