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par La Redac - le 19/02/2019
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par La Redac - le 19/02/2019

Alita Battle Angel : plus conforme à la lettre qu'à l'esprit

En 2003, James Cameron s'offrait les droits de Gunnm, un manga emblématique du courant cyberpunk. Après seize ans, de nombreux contretemps dus à Avatar, et après avoir confié le projet à Robert Rodriguez, voici qu'arrive enfin cette adaptation attendue par tous les fans. Il faut dire qu'elle regroupe pas mal de poids lourds, devant comme derrière la caméra. Alors, est-ce qu'Alita : Battle Angel sera à la hauteur des attentes ? Bah… Oui et non. Tout dépend de ce que vous en attendez en fait. (Oui, je sais, réponse de normand.)

Il était une fois…

Mais tout d'abord, qu'est-ce que Gunnm ? L'histoire commence dans une immense décharge à ciel ouvert dans laquelle un docteur-slash-récupérateur-slash-mercenaire (c'est un homme très occupé) trouve une jeune cyborg endommagée, mais au cerveau intact. Il va la ramener chez lui, lui fournir un corps, la traiter comme sa fille. Puis bagarre. La jeune fille va avoir besoin d'un nouveau corps. Bagarre à nouveau. Encore plus de bagarre. On en apprendra de plus en plus sur son passé, on la verra grandir devant nos yeux dans un univers où la vie humaine n'est qu'une variable d'ajustement. Avec pas mal de bagarre un peu partout au milieu et sur les côtés.

Les amateurs d'adaptation fidèle seront gâtés : le film reprend quasi intégralement la structure du matériau d'origine. Plus exactement, il reprend le scénario du premier et second livre, tout en rajoutant des éléments du troisième (parce que quelqu'un sur le plateau a dû se dire que c'était pas la peine de faire une adaptation de Gunnm sans y mettre une bonne grosse scène de Motorball qui déboîte). Le scénario a été écrit par Laeta Kalogridis, qui s'impose comme une personne à suivre pour les amateurs de cyberpunk puisqu'elle avait été aux commandes de la série Altered Carbon l'année dernière. Si l'orthodoxie de cette adaptation peut plaire, on peut toutefois regretter son manque d'ambition. En tant que lecteur du manga, je n'ai pas été surpris une seule fois par un rebondissement de scénario. Ceci dit, quelques scènes rajoutées ici et là m'ont réjouit. Par exemple, la scène où des adolescents jouent au Motorball sur un circuit improvisé marche très bien, tant comme foreshadowing qu'en terme de développement d'univers. 

Les dialogues pourraient sembler un poil niais et convenu, mais d'un autre côté, l'œuvre d'origine s'intéressait surtout aux scènes de combats. Ceci dit, cette aseptisation relative fait changer l'histoire de registre. Ce film est plus proche du conte, racontant l'histoire d'un passage à l'âge adulte, que de la réalité froide et métallique du Kuzutetsu (le nom de la décharge) d'origine. On appréciera ou non, mais il faut reconnaître que le film est satisfaisant : les intrigues principales sont résolues à la fin, tout en laissant la place à une éventuelle suite si besoin.

Throwing money to the screen like a nerd at E3

Quand Cameron et Rodriguez s'entendent pour faire un film de science-fiction, on s'attend à du grand spectacle. Ces messieurs ont l'argent et le talent pour faire dans le grandiose. De ce côté-ci, le spectateur est servi. Le film s'ouvre sur une vue en contre-plongée de Zalem, la cité flottante au-dessus de la décharge, qui n'est pas sans rappeler le Hengsha de Deus Ex : Human Revolution. Et comme dans ledit jeu, cette ville fera peser son poids implacable sur toutes les scènes du film. La décharge est bien rendue, elle paraît à la fois chaotique et accueillante, on la sent habitée depuis des générations, mais avec toujours cette impression que tout le monde pourrait s'enfuir en une nuit si le besoin s'en faisait sentir. L'arène du Motorball est un ronflement de puissance portée par ses milliers de spectateurs déchaînés, les ruelles de nuit sont menaçantes à raison, et il y a un niveau dans les égouts.

Concernant le personnage, il convient de s'attarder un peu sur Alita elle-même. Lors des premiers trailers, on aurait pu craindre que le film nous fasse faire un voyage dans la vallée dérangeante tout du long, tant ses yeux paraissaient exploser hors de son crâne. Il semble que les animateurs aient revu leur copie en post-production. On développe une certaine empathie pour la jeune fille, sans jamais oublier pour autant qu'elle n'est physiquement pas humaine. Une performance qui doit sans doute beaucoup au travail de Rosa Salazar.
De manière générale, la modélisation des cyborgs est un plaisir à voir. Chaque pièce a sa propre "identité", comme si elles étaient le fruit des efforts de différents designers. La scène du bar des hunter-warrior et la course de Motorball sont à ce titre l'occasion de voir de nombreux designs, plus riches les uns que les autres.

Pourtant le film pèche lorsque tout ça se met en mouvement. Le manga avait ce dessin à la fois un peu crade, comme un moteur recouvert d'huile, et très descriptif : on sentait les coups partir. Ici, entre les effets spéciaux très lisses et les ralentis matrixiens qui doivent mieux rendre en 3D qu'en 2D, l'action inspire moins. On ne retrouve pas cette sensation de puissance inattendue qu'Alita / Gally pouvait avoir lors de son premier combat, ou dans celui dans les égouts. Le film est une belle machine bien orchestrée, là où le manga avait la force brutale d'un char d'assaut. De ce fait, le film paraît peut-être plus anodin et conventionnel.

Une galerie de personnages en demi-teinte

Gunnm pouvait s'enorgueillir d'une batterie de personnages fouillés, avec pour plusieurs des arcs narratifs bien définis. Qu'en est-il ici ?

Pour commencer, le film peut compter sur un line-up plutôt conséquent. Je ne vais pas me prononcer sur le talent de Rosa Salazar car entre la performance capture et le doublage en français, il m'est difficile de déterminer son apport au film. En tout cas, elle ne paraît pas déplacée dans l'ensemble. Christopher Waltz fait le boulot dans le rôle de Daisuke Ido, renommé Dyson pour l'occasion, en jouant un personnage tiraillé entre son amour pour sa fille adoptive et sa volonté de la laisser voler de ses propres ailes (Il ne sort pas le grand jeu tarantinesque non plus, mais il fait le taf). On a plaisir a retrouver Jennifer Connelly, un peu oubliée des blockbusters ces dernières années, dans un rôle tiré de la version OAV. Si elle ne renverse pas l'histoire à elle toute seule, elle ajoute du lien entre les personnages, et développe un passé commun avec Dyson. Ed Skrein, qu'on a connu entre autres pour son rôle de Ajax Francis dans Deadpool, joue ici un nouvel antagoniste qui cabotine sans cesse, Zapan, un rôle qui lui va bien. On notera également deux caméos, Casper Van Dien et Edouard Norton, qui font toujours plaisir, même s'ils restent en périphérie de l'intrigue. Ah, et Michelle Rodriguez passe en courant dans une bagarre aussi (surprenant n'est-ce pas ?).

Deux regrets, cependant : Hugo et Vector. Le premier souffre de dialogues clichés au possible ("Crois en tes rêves !" Merci Tvtropes-guy). Est-ce à cause de la performance d'acteur, ou des dialogues qui sont eux-mêmes mal écrits ? Keean Johnson ne semble pas faire du mauvais travail, mais son personnage n'est pas à la hauteur du matériau d'origine. Il y a comme un décalage entre la façade sympathique qu'il montre au quotidien et les horreurs qu'il commet avec son gang, ce qui brise un peu la suspension d'incrédulité. Concernant le second, Mahershala Ali est tout simplement sous-exploité. L'acteur avait prouvé sa capacité à jouer des personnages profonds et complexes, dans des séries comme House of Cards ou Luke Cage. Ici Vector est réduit à un random mob boss qui ne lui laisse pas la place d'exprimer son talent. Dommage, d'autant qu'il y avait à faire avec ce personnage, bien plus riche dans sa version d'origine.

Joli mais pas si malin

Verdict final : bien mais pas top. Sur les plans technique et visuel, le film est irréprochable, sans doute encore meilleur en 3D qu'en 2D, car de nombreuses scènes s'y prêtent bien. Mais il lui manque ce supplément d'âme qui faisait tout le sel de l'œuvre originale, cette violence crue qui ici se retrouve aseptisée. Ce n'est pas un film dont j'attendrai la sortie DVD avec impatience, mais j'aurai plaisir à le revoir sur le deuxième écran pendant que je fais autre chose sur le premier. Un peu comme un Marvel de milieu de gamme (Genre Infinity War).

Et pour la suite ? Il y a un certain potentiel, si Cameron trouve le temps (pas dit, vu le nombre de suites qu'il veut donner à Avatar). Le manga offre en tout cas la possibilité de donner d'excellents films de science-fiction. Mais ils nécessiteront peut-être une équipe un peu plus investie dans le projet, ou avec une patte artistique plus prononcée. Alita : Battle Angel ne fera pas date, mais reste une expérience très plaisante.

par Valentin F.

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