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Critiques
par Baptiste Gilbert - le 21/01/2025
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par Baptiste Gilbert - le 21/01/2025

DRCL, entre dentition et modernité

Lancé en grande pompe lors du festival d’Angoulême 2024 avec une expo-projection dédiée, #DRCL signe le retour de Shin’ichi Sakamoto après Ascension et Innocent. Pour la sortie du T4, retour sur une œuvre qui prouve qu’il est encore possible de revivifier le mythe de Dracula.

On le connaît sur le bout des canines. Né dans le roman éponyme de Bram Stoker en 1897, Dracula est l’un des personnages les plus adaptés et réadaptés de la culture contemporaine : du Nosferatu de Murnau (1922) à Hôtel Transylvanie (2012), en passant par la version de Coppola ou celle de Marvel, pour ne citer qu’elles.

En se lançant dans une nouvelle version du personnage, Shin’ichi Sakamoto risquait donc de tomber dans les poncifs du mythe du vampire : questionnements sur le bien et le mal, sur la vie et la mort, symboles religieux et sous-texte sexuel. Mais ce serait mal connaître l’auteur de Ascension et Innocent. Si ces thématiques sont bien présentes, Sakamoto les dépasse rapidement. Mieux, il les mord à pleines dents dès l’introduction pour en faire saigner autre chose.

Après son premier chapitre tout ce qu’il y a de plus lugubre et poisseux, Sakamoto nous prouve qu’il maîtrise ce registre à la perfection. il déplace donc son scénario dans une école de la noblesse anglaise à l’époque victorienne, et pose d’emblée son ambition : sa version de Dracula sera moderne, et très libre.

Dracula v.2024

Les thématiques mises en avant par l’auteur sont à la fois extrêmement contemporaines, et intemporelles, leur permettant de s’intégrer sans peine au contexte victorien. Dès le premier tome sont abordés le sexisme, la masculinité toxique, l’homosexualité et la transidentité. Le tout sur fond de lutte des classes.

© Shin’ichi Sakamoto / Ki-oon

Comme sa prédécesseure Moto Hagio, qui a travaillé sur des thématiques similaires (qui faisait également l’objet d’une exposition à Angoulême en janvier) Shin’ichi Sakamoto s’affranchit des représentations genrées et donne vie à des personnages androgynes, à l’identité parfois floue et à la sexualité fluide. Des protagonistes aux origines variées et aux caractères ambivalents, qui vont devoir travailler ensemble, en surpassant leurs différences de nationalité, de genre et de classe pour faire face à un mal qui n’épargne personne.

Technique incisive

Une diversité de personnages, qu’on retrouve d’une certaine manière dans le dessin de Sakamoto, époustouflant par ses changements perpétuels, ses claques visuelles à répétition, ses expérimentations inattendues. #DRCL ne s’arrête jamais d’être surprenant, presque déroutant, quitte à friser le bordélique : chaque page est une découverte de mise en scène, de graphisme, de visuels impactants.

Les personnages tout droit sortis d’une fiction teen tendance shôjo (Sakamoto a évoqué en interview l’influence de sa femme, dessinatrice de shôjo) se frottent à des délires lovecraftiens – ajouts rafraîchissants à l’horreur gothique du vampire -, tout en conservant une forme de flegme britannique. Sakamoto se permet régulièrement d’interrompre le récit avec des écarts graphiques en pleine page qui apportent encore davantage de rythme à son récit. 

Scénaristiquement, les révélations s’enchaînent(pas une évidence pour une relecture d’un mythe si connu), et la narration est sans cesse relancée. Elle change de forme et de ton à un rythme effréné, tantôt mystérieuse, tantôt glauque à souhait, tantôt même drôle et over the top : impossible de s’ennuyer. Et étonnamment ou non, l’ensemble tient parfaitement la route. 

Avec son #DRCL, Shin’ichi Sakamoto confirme son talent scénaristique et graphique, et signe une nouvelle version de Dracula qui pourrait faire date. Au-delà, il prouve que les grands mythes peuvent toujours être réinventés, et rattachés à des thématiques modernes sans en perdre ni leur sève, ni leur sang.

#DRCL de Shin’ichi Sakamoto, Ki-Oon (3 volumes dispo, le 4e volume arrive le 6 février)


Tous les visuels sont © Shin’ichi Sakamoto / Ki-oon

© Shin’ichi Sakamoto / Ki-Oon
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