Ça y est, Keigo Shinzo appartient à cette catégorie d’auteurs qui, sans être des stars, disposent d’une notoriété suffisante, et d’un style assez identifiable pour publier un recueil de nouvelles. Car si vous avez apprécié le ton d’Hirayasumi ou de Tokyo Alien Bros, vous ne serez pas dépaysés.
Fait amusant, Shinzo lui-même ne semble pas être un immense fan de ces histoires. De son aveu, elles n’ont d’ailleurs provoqué « aucune réaction » des lecteurs lors de leur publication, ce qui lui a inspiré le titre : No Reaction. Dans sa postface, il indique même qu’il éprouvait « quelques hésitations à les réunir en un tome ». « Mais qui sait, ajoute-t-il, peut-être qu’elles déclencheront quelque chose chez quelqu’un ». Il peut se réjouir, c’est le cas : on retrouve dans ce recueil tout ce qu’on a aimé ou presque dans ses récits plus longs : la douceur ambiante, la beauté de moments de vie a priori anodins, et la sympathie immédiate pour ses protagonistes.
Évidemment, l’attachement à ces derniers sur la durée, gros point fort d’Hirayasumi notamment, disparaît ici. Mais Keigo Shinzo a un immense talent de narration, et les portraits simples qu’il produit en quelques pages permettent une identification facile, instinctive. Les interactions de ses personnages racontent toujours quelque chose des relations humaines, qui peut paraître évidente et qui n’est pourtant jamais lambda.
Tout est dans le style
Il est intéressant de voir Shinzo s’essayer à des styles différents de ce pour quoi on le connaît. Entre un récit sous forme de souvenir d’enfance et une suite bonus à Tokyo Alien Bros, il se permet même quelques scénarios plus sombres, bien que jamais vides d’espoir.
Peu importe le contexte et le genre, l’auteur réussit en effet à conserver la douceur et la poésie qui lui sont propres, parfaitement accompagnées par son trait tout en rondeur. Ses paysages urbains ont un côté paisible, presque bucolique. Même lorsqu’il représente une scène de guerre, son ton reste nonchalant, et aussi feel good que possible. Ce qui n’empêche pas une certaine profondeur philosophique, bien au contraire : les histoires du mangaka, qu’elles soient courtes ou longues, sont une ode constante à l’oisiveté, à la rêverie, à l’appréciation des petites choses du quotidien.
Notons enfin l’humour : Shinzo est très doué pour relever les petits détails absurdes des comportements humains, ce qu’il se plaît à faire au moyen de commentaires à côté des dialogues, et de déformation absurdes des visages. La dérision qui ponctue ainsi son œuvre, plus ou moins présente en fonction des histoires, fonctionne toujours aussi bien.
Évidemment, format oblige, tout n’est pas égal en qualité : si le diptyque « La famille Shimizu en long et en large » est particulièrement réussi, son hommage à Taiyō Matsumoto (un auteur qu’on aime aussi beaucoup) n’est pas très convaincant. Quant à sa nouvelle sous forme de comédie romantique, elle tombe un peu à plat. Personne ne lui en voudra : c’est le lot de ce type de recueil.
Comme souvent pour les compilations d’histoires courtes, No Reaction s’adresse surtout à ceux qui connaissent déjà l’œuvre de Shinzo, et qui y retrouveront ce qui fait le sel de ses séries. Pour les autres, on conseillera plutôt (et chaudement) de se lancer dans Hirayasumi, Mauvaise Graine ou Tokyo Alien Bros.
No Reaction de Keigo Shinzo, Le Lezard Noir
Tous les visuels sont © Keigo Shinzo / Shogakukan / Le Lezard Noir pour la VF