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Critiques
par Thomas Mourier - le 21/03/2025
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par Thomas Mourier - le 21/03/2025

Retrouvez Âme augmentée d’Ezra Claytan Daniels après une page de duplicité 

Double je pour les protagoniques de ce roman graphique aussi pertinent sur l’époque que jouissif dans sa maîtrise graphique. Ezra Claytan Daniels nous embarque dans un récit d’anticipation mordant qui pourrait bien déjà se passer dans la Silicon Valley. Petite session de rattrapage autour d’une sortie de 2024 qui est peut-être passée sous le radar, mais qui vaut vraiment qu’on s’y arrête.

À l’heure où les I.A. omniprésentes remplacent le rêve transhumaniste chez les entrepreneurs, poursuivant cette « économie des promesses » selon la formule d’Yves Frégnac où la science sert plus les capitaux que l’inverse, Ezra Claytan Daniels propose une bande dessinée qui questionne aussi bien l’étique que nos identités et ce qui les constitue. 

Les érudits Hank et Molly Nonnar s’offrent, à la fin de leur vie, un espoir : celui d’être transférés dans un corps neuf pour continuer à vivre ensemble. Alors que leurs clones sont mis en route dans un labo clandestin, l’expérience prend un tour inattendu quand leurs clones se révèlent être plus que de simples corps. Si les neurosciences penchent aujourd’hui sur le côté inséparable du corps et de l’esprit pour définir l’individu ; dans l’album, la science de pointe de ce transhumaniste effrayant reste basée sur la dualité du corps et de l’esprit, voire de l’âme au sens religieux qui serait le siège de la personnalité. Ici, le rêve d’immortalité devient une lutte pour la survie et les planches glissent doucement vers l’horreur.


« Ce qu’il faut alors implorer, c’est un esprit sain dans un corps sain »

Le dessinateur déforme les corps, les traits et les proportions pour accentuer le malaise et les intentions, pas si nobles, des uns et des autres. Tout en utilisant une palette de couleurs réduites, son trait va chercher aussi du côté de l’épure et de l’école européenne de la ligne claire avec un beau travail sur les corps, les formes et les expressions pour créer une tension permanente. 

© Ezra Claytan Daniels / 404 graphic

En restant autour de ce casting réduit, il aborde le racisme, l’exclusion, la fin de vie, mais également la foi, la transmission, l’héritage, l’appropriation ou la création. Cette mini-société presque confinée dans son centre d’expérimentation permet à l’auteur de questionner notre société à travers cet espoir contre nature. Entre le malaise graphique et la pertinence des interrogations en sous-texte, Ezra Claytan Daniels nous prend à rebrousse-poil avec intelligence et malice. 

Un très beau conte noir, que l’on peut lire en miroir du film de Tod Browning, La Monstrueuse Parade (ou Freaks en V.O.) dans une version qui explore les travers de notre époque tout rejouant l’histoire d’amour, de vengeance, d’acceptation de soi où les monstres ne sont pas toujours ceux qu’on imagine. 

Vingt ans de travail pour ce livre dévoile Ezra Claytan Daniels dans les notes qui accompagnent ce livre — en regard d’une préface de Darren Aronofsky— qui regroupe ses goûts pour l’horreur, la science-fiction qu’il combine avec le souvenir de ses grands-parents, mais également une envie de réflexion sur ce qui nous constitue comme êtres humains. 

Âme augmentée de Ezra Claytan Daniels, 404 graphic

Traduction de Philippe Touboul


Tous les visuels sont © Ezra Claytan Daniels / 404 graphic

© Ezra Claytan Daniels / 404 graphic
© Ezra Claytan Daniels / 404 graphic
© Ezra Claytan Daniels / 404 graphic
© Ezra Claytan Daniels / 404 graphic
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