Illustration de l'article
Incontournables
Archive 9ᵉArt
par AlexLeCoq - le 10/10/2013
Partager :
par AlexLeCoq - le 10/10/2013

Fenêtres sur Rue - Interview de Rabaté

Livre-objet atypique paru fin août dans la très belle collection Noctambule de l'éditeur Soleil, Fenêtres sur Rue est le dernier petit bijou en date du magicien Pascal Rabaté. Livre yin-yang qui s'ouvre en éventail ou peut se lire comme un livre classique, mais recto/verso, il nous présente sur des doubles pages les façades des immeubles d'une petite rue parisienne. Aux fenêtres, dans les commerces et sur le trottoir se passent milles histoires tantôt banales tantôt folles, de jour d'un côté, de nuit de l'autre. Immobiles et pleines de vies, les scénettes muettes imaginées par l'auteur font s'entremêler les destins, avec humour et malice, saupoudré d'une dose de suspens.

Fenêtres sur rue est une véritable expérience de lecture, entre tableau et bande dessinée, mais aussi un très bel hommage au monde du cinéma.

Pascal Rabaté revient pour nous sur la naissance de ce titre.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

J'a fait les Beaux-Arts de 80 à 85. Je suis rentré dans une école d'art parce que je rêvais de m'exprimer en dessin. J'ai découvert la bande dessiné quand j'étais gamin. J'ai presque appris à lire avec Tintin et surtout les Pieds Nickelés. En rentrant aux Beaux Arts, j'espèrais faire de la bande dessinée, mais à l'époque les structures n'étaient pas très ouvertes à ce média, j'ai donc fait autre chose. Je me suis initié à la vidéo, et j'ai surtout passé mon diplôme en gravure. Toutes les images que je produisais, même les planches faites en très grand format étaient en gravure sur bois, en sérigraphie... J'avais besoin de faire des images qui puissent circuler, je n'imaginais pas mon travail en un seul exemplaire.
Au sortir de l'école, j'ai hésité assez peu de temps à savoir si je continuais dans la gravue, ou si je m'essayais à la bande dessinée. J'avais quand même besoin du verbe et des mots. Ma première bande dessinée publiée était chez Futuropolis, c'était les Amants de Lucie et ensuite les choses se sont développées jusqu'à maintenant.
Toute l'expérience aux Beaux Arts m'a quand même pas mal ouvert les yeux sur les autres médias, sur les autres médiums même. Je me suis découvert pas mal d'affinités avec des mouvements comme l'expressionnisme allemand. Une image assez contrasté, avec à la fois des déformations et surtout un gros travail sur la lumière. Tout cet enseignement m'a servi, non pas à développer mais à m'orienter vers des images peut-être pas fortes mais où la lumière importait beaucoup.

Comment raconteriez-vous Fenètres sur rue ?

Fenêtres sur rue, c'est la rencontre avec Clotilde Vu (directrice de la collection Noctambule). J'avais déjà travaillé sur un collectif sur la guerre 14, Paroles de Poilus. Suite à ça on ne s'était pas trop perdus de vue. Il y a un an et demi, deux ans, elle m'a contacté pour me proposer de travailler sur un livre. Je lui avais dit que j'avais déjà un éditeur, Futuropolis. Mais elle m'a dit que c'était un projet particulier, un livre en accordéon. Je me suis dit que ça ne coûtait rien, on a mangé ensemble, elle m'a montré le bouquin. J'étais en attente de financement pour un film. Film que je viens de tourner, je suis en train de terminer le montage. Elle m'a expliqué un peu le système, lecture des deux côtés. Le côté un peu yin et yang de la chose. Je lui ai dit que j'allais réfléchir, et deux jours après j'avais cette idée de faire un livre sur le voyeurisme. Naturellement le film d'Hitchcock, Fenêtre sur cour, m'est revenu. C'est un film que je considère comme un chef d'oeuvre. Plastiquement il est merveilleux, mais en plus de ça c'est une espèce d'analyse du couple à différentes étapes. En fait le personnage a une jambe dans le plâtre, mais c'est un peu symbolique. Il est amoureux de Grace Kelly, mais ne sait pas s'il doit se marier ou pas. Et par la fenètre de son appartement il voit le couple à différentes étapes de sa vie. Il y a deux célibataires qui vont finir par se rencontrer, un jeune couple dont la libido est assez prononcée, un couple un peu plus âgé où il ne se passe pas grand chose, et le couple le plus vieux, où le mari finit par tuer la femme. Et donc, c'est James Stewart qui regarde un peu tout le couple, où ça démarre et où ça termine. C'est un constat un peu hitchocockien avec une petite note d'humour.
Et juste avant que Clotilde me contacte sur ce projet, j'avais fait un petit peu ce travail sur un film qui s'appelle Ni à vendre ni à louer, où j'avais voulu faire, non pas une autopsie mais un état du couple, de la vie à la mort, mais avec le côté cynique en moins d'Hitchcock. C'était des nouvelles qui se croisaient, un film sans dialogue. Un hommage à Tati et surtout un hommage au cinéma burlesque. C'était une façon de prolonger un peu cette interrogation. Le concept est venu très vite. Ensuite j'ai développé mon travail le livre pendant 7 ou 8 mois.

Et comment avez-vous travailler ce livre ? Sa construction, ses personnages ?

Une fois que l'idée était posée, je me suis vaguement inspiré de ce que je voyais de la fenètre de mon appartement parisien. Quelques façades... Je me suis surtout inspiré des lumières... Je me levais plusieurs fois, à divers moments de la nuit, pour voir un peu la différence des éclairages qu'il pouvait y avoir, du début de la soirée au milieu de la nuit, jusqu'à la fin. Pour le jour c'était pareil, c'est une rue où le soleil se lève à gauche, et se couche à droite. Ça me permettait de travailler les éclairages, de choisir les différents moments. Il y a des scènes qui se passent le matin, des scènes qui se passent le midi, par temps d'orage, par temps couvert. C'était d'essayer, sur une même rue, non pas de tout faire, mais de choisir des moments clés, et de voir comment je pouvais installer des variations sur ces architectures. C'est vrai qu'il y a des bâtiments très parisiens, il y a une petite maison au milieu qui est un petit hommage à Tati. On a cette petite maison où on voit les personnages qui ont plusieurs fenètres, à différentes hauteurs. On voit un petit bout de pied, un petit bout de tête.
Ça s'est élaboré de manière assez simple au niveau des lumières, des architectures. Après les petites histoires, ça s'est fabriqué à l'intérieur de tout ce cadre, de façon plus ou moins organisée. Les histoires se sont vraiment développées au fur et à mesure. Je prenais un personnage, et je voyais comment il pouvait interragir dans la vie des autres. En sachant qu'il y avait une histoire tout en bas de la page. Là je reprends un peu le fonctionnement d'une planche de bd, les fenêtres sont un peu des cases. Le bas de la page, c'est le meurtre. La petite question est toujours en bas de la planche.

Est-ce compliqué comme exercice d'écriture de se fixer sur un seul plan ?

Non, c'est même assez reposant. Parce que du coup c'est vrai qu'on a à s'interroger sur le placement des lumières, voir comment les ombres vont se projeter sur les façades. Et voir comment on va faire ressortir ces petits personnages, comment on va les faires habiter autrement que par des mouvements. La nuit par exemple, on peut faire varier les éclairages. La planche avant que mon petit Maigret aille arrêter le criminel, il a une ombre énorme. C'est jouer sur la symbolique. C'était assez ludique et assez plaisant. Du coup je ne m'interrogeais pas sur les cadrages, mais sur 'dans ce cadre, dans un cadre précis et statique, comment vais-je pouvoir appuyer certaines scènes, certaines attentions ?'. Par exemple le fait que le criminel tende un drap pour qu'on ne voit pas le jour, me servait la nuit comme une loupe, avec des ombres chinoises. C'était un peu tous ces jeux-là. La contrainte est un bon moteur dans la création. Je pose mes problèmes, puis je dois trouver ma solution.

Vous disiez tout à l'heure que vous aviez besoin du verbe, du mot. Ici c'est une histoire muette, et de la même manière, est-ce que ça a été frustrant ou au contraire libérateur de se passer de dialogues ?

Ça n'a pas été frustrant, par contre c'est vrai que ça oblige à penser les déplacements, les attitudes des personnages de façon un peu plus forcée pour qu'à l'image on comprenne bien ce qui se passe. Je m'étais posé le même soucis sur le film Ni à vendre, ni à louer. Je voulais faire du burlesque contemporain, mais je pensais que le fait d'enlever le verbe, d'enlever la parole, obligerait les acteurs à forcer les postures, les attitudes, et en fait il s'est avéré qu'à l'image j'avais envie qu'ils réduisent encore plus leur jeu. Comme il n'y avait plus la parole pour attirer l'oeil, il n'y avait plus que l'oeil sur les personnages. Et là, c'était l'inverse. Il fallait vraiment que sur le papier j'appuie mes attitudes, un peu plus qu'en bande dessinée où le verbe nous amène une information. Ici, les murs sont un peu mes intercases, et je pense qu'il se passe un peu plus de choses à travers les murs qu'à travers les fenêtres, donc il fallait que je force un peu mes attitudes.

Quels outils et techniques avez-vous utilisé sur ce titre ?

Là j'ai utilisé l'acrylique. E la différence de la gouache, elle ne se redilue pas, donc je pouvais fonctionner en couche, et repeindre dessus. D'ailleurs ils ont fait un très beau boulot d'impression, on voit bien les coups de pinceaux, le relief de la peinture. L'acrylique me permettait aussi de pouvoir me tromper. J'ai eu du mal à accoucher de certaines attitudes. Trouver un mouvement cohérent, qui marche bien. Je tatonnais un peu sur certaines positions. D'ailleurs les postures les plus simples sont parfois les plus dures. Il faut le déhanchement juste pour que le corps prenne vraiment sa place et sa cohérence. L'acrylique me permettait de pouvoir me tromper. J'ai utilisé la même technique, mais en noir et blanc, pour Ibicus.

Vous parliez tout à l'heure de la vue de votre fenêtre. Est-ce que c'est elle qui vous a inspiré les couleurs, les teintes ?

C'était vraiment l'observation de dehors. J'ai pas mal pensé à Edouard Hopper, il faut le reconnaître. Il y a un travail sur les façades, un rapport assez frontal justement. Certaines toiles semblent plates, et ce sont juste les ombres qui nous permettent de voir ce qu'il y a hors champs. Il y a un travail sur l'humain très posé. Mais c'est la vue de ma fenètre qui m'a donné les ambiances colorées de chaque image.

On évoquait le cinéma tout à l'heure, mais Fenètres sur rue est également construit, présenté comme une pièce de théatre. Êtes-vous vous-même amateurs de théâtre ?

Oui, mais pas assez. Je ne suis pas friand du théâtre classique. Je suis plus Shakespeare que Molière, mais je suis plus théâtre contemporain, que théâtre classique. J'ai été plus déçu dernièrement qu'emballé. Quand je vais au théâtre, je demande plus aux acteurs qu'au décor, et dernièrement j'ai eu plus de décors que d'acteurs... Peut-être qu'un jour je m'attaquerai à ça... C'est vrai que la chose étonnante et rigolote de ce projet, c'est que je voulais faire un hommage au cinéma, et puis à la fin du projet, c'est un très mauvais calcul, j'avais oublié que quand on dépliait les livres en accordéon, il y avait besoin d'une image en plus d'un côté que de l'autre. Et je me suis retrouvé comme un couillon, il manquait une image. Et je me suis dit, j'ai voulu faire un hommage au cinéma d'Hitchcock et de Tati, la malice d'Hitchcock et la comédie de Tati, et puis finalement j'ai fait un décor unique et sur un même espace, et du coup j'ai fait un hommage au théâtre. L'avant-dernière image, le salut de tous les acteurs, c'est que ça reste une comédie. C'est finalement un hommage aux différents média narratifs. La toute dernière image, c'est le rideau qui est tombé, et j'ai tout ramené à la bande dessinée. Le personnage qui traverse la scène de théatre avec des planches, c'est un personnage qui était dans les bandes dessinées d'Alexis et de Gotlib. Dès qu'il y avait une scène un peu violente, ou de sexe, il y avait toujours un petit personnage pour cacher, un sorte de censure. Donc je me suis dit tiens je referme la boucle.

Hitchcock et Tati sont particulièrement mis à l'honneur sur ce titre. Qu'est-ce qui vous touche chez ces deux artistes, et qui vous donne envie de leur rendre hommage ?

Hitchcock, je n'ai pas vu les films muets qu'il a fait, par contre des années 30 à la fin, je pense que j'ai tout vu. Avec plus ou moins de bonheur, par exemple Pas de printemps pour Marnie, je l'ai trouvé un peu faible, les deux derniers m'ont beaucoup moins transporté. Par contre, dans la production des années 50, la Corde est un superbe exercice de culture. Et entre Vertigo et Fenètre sur cour, on est face à une mise en scène qui est prodigieuse. Il y a une malice dans la création, des trouvailles tout le temps. Quand on regarde la plastique qu'il développe dans La maison du Docteur Edwardes. C'est quelqu'un qui avait des références, qui travaillait même avec des artistes de l'époque. Dali a travaillé sur des décors de La maison du Docteur Edwardes. Quand il a fait Psychose, il s'est inspiré de toiles de Hopper. C'est quelqu'un qui est allé puisé au delà du support, au delà de la littérature, et qui le faisait avec beaucoup d'intelligence. Il allait puiser là-dedans et il cassait à chaque fois son jouet. En travaillant de temps en temps sur un seul plan séquence, avant de faire Psychose, où sur la scène du meurtre, on se retrouve avec 40 ou 50 plans. C'est quelqu'un qui cherchait toujours à s'amuser, à dépasser le support, à inventer. Il a fait des symboliques plus ou moins rigolotes. Le couple qui s'embrasse dans le train, et on voit le train qui s'enfonce dans le tunnel...Et en même temps ça passait parce qu'il y avait toujours son petit sourire en coin, ce côté humour anglais que j'aime particulièrement.


Quant à Tati, c'est un cinéma qui est faussement naïf, un cinéma du corps. C'est un cinéma qui serait impossible à faire aujourd'hui je pense, parce que maintenant on ne parle plus que d'empathie, on ne parle que d'émotions. Il y a une dictature de la larme, et lui il était vraiment dans la distance. C'était quelqu'un qui travaillait sur le corps entier. On ne peut pas parler d'expression de ses personnages, ce sont des corps, courbés, droits, des attitudes. Il venait du Music Hall et du théâtre, et du coup le corps importait autant que les expressions du visage. On regarde les Vacances de Monsieur Hulot ou Jour de Fêtes, ce sont plus des corps, des marionnettes, qui marchent, des attitudes... A chaque fois que je commence un projet, je pense notamment aux Petits Ruisseaux... Tati n'était pas très loin, parce que je me disais que c'était plus dur, mais aussi plus intéressant de montrer la vieillesse en dessin par une attitude de corps, plutôt que par des rides. C'est la facilité. Observer des vieux qui se déplacent, les jambes qui fléchissent, un dos courbé. Voir un peu comme un corps peut se transformer, et comment ça peut influer sur une démarche. Ce sont des choses extrêmement intéressantes à retranscrire en dessin. Et Tati a toujours eu cette espèce d'acuité. Il n'a pas cherché la larme, il a cherché l'homme dans l'environnement. Ça a toujours été son cinéma. Je ne le rejoins pas sur sa vision de la société. Il a un côté très passéiste, très nostalgique. Même si ses films ne sont pas tristes, il parle toujours de la fin de l'enfance. Que ce soit dans Mon oncle ou dans Les vacances de Monsieur Hulot il y a quelque chose sur la finitude des bons moments, et le retour dans la société industrielle. Ça ce sont des choses qui ne sont pas mon discours, ça n'est pas ce que je pense. Mais en même temps il le fait sans répugner les choses, parce que même quand il dénonce un peu l'organisme moderne dans Playtime, sa représentation des maisons tout en vitre, je trouve ça magnifique, c'est une vraie merveille. J'ai pensé à Fenêtres sur cour, mais j'ai aussi pensé à Playtime, où on a tout à coup un plan très large où, ce sont des murs vitrés, et on a l'impression que les familles se regardent, mais en fait elles regardent chacunes leurs télé. Et à un moment on a une presque une découpe de bâtiment, comme les maisons de poupées quand on était enfant. C'est vrai que c'est aussi pour ça que j'ai mis Tati dans Fenêtres sur Rue. Dans Playtime il y avait des attitudes de corps, mais il y avait aussi ce regard de maison en découpe. Il y avait la maison de Mon oncle, où le personnage de Hulot se promène à l'intérieur de la maison. Et comme elle est toute tarabiscotée, on aperçoit à un moment un genou, un moment sa tête, son profil, que le bas du corps. Et dans Playtime, il avait cette maison en verre avec des personnages qui se donnaient à la vue des passants. Du coup c'était un peu le mélange des deux. Ce sont deux de mes influences. J'aurai pu en mettre plein d'autres. Il y a un petit clin d'oeil à Siménon avec l'inspecteur de police. C'est un écrivain qui m'a pas mal marqué. Je n'ai pas tout lu, il a dû faire plus de 500 bouquins, mais j'en ai bien lu 200. C'est quelqu'un qui parlait de l'individu en creux, en écrivant un peu sur les décors. Il écrivait les intérieurs et on voyait les personnages qui habitaient les intérieurs, comme un miroir. J'ai un peu placé ces trois personnages-là. J'aurai pu en mettre des tonnes, mais j'aurai fini par faire un truc indigeste. Ce sont les trois qui se mariaient le plus pour ce projet.



Vos histoires sont toujours pleines d'humanité, avec des personnages qui sonnent très vrais. Dans Fenêtres sur rue, vous invitez le lecteur à observer, à voir les personnages évoluer. Mais est-ce que vous-même vous êtes très observateur du monde qui vous entoure ?


Oui, je ne passe pas ma vie à ça, sinon je ne bosserai pas, mais j'ai toujours été très observateur. Ce que je regarde le plus je crois, dans la rue, quand je suis à une terrasse, ce sont les démarches. Je pense que ça doit se retrouver dans mon travail. Les postures, comment le corps avance, comment les jambes peuvent devancer le reste du corps... Ce sont des choses que j'aime aussi beaucoup filmer. On en parlait pas mal avec Jacques Gamblin quand on avait travaillé sur Ni à vendre ni à louer. Ce sont des choses très drôles à observer. Le côté vif, le côté mou. Comment le corps va se tordre. Les gens qui marchent en S avec la tête en avant, le buste en arrière, le ventre en avant... c'est un peu comme du Tex Avery. Quand j'étais gamin, mes parents étaient commerçants, et je tenais la caisse quelques fois. Et c'était une observation des petites manies, des petits travers, des petits gestes plus ou moins poétiques.


Vos bandes dessinées transmettent toujours beaucoup d'émotions. Ici, à force de les observer, on s'attache et on ressent des choses pour eux. Est-ce que les émotions que vous transmettez sont volontaires dans l'écriture, ou est-ce que ça se fait naturellement ?


Oui, j'ai envie de transmettre des émotions bien sûr. C'est à dire que j'essaie de faire un portrait, de prendre un peu mes contemporains, je me retrouve dans tous mes personnages plus ou moins. A une époque j'y avais mis toute ma famille. Ils ne se sont jamais reconnus et heureusement parce que sinon j'aurai coupé les ponts avec pas mal d'entre eux. Mais dans Les pieds dedans il y avait des personnages inspirés par untel. Tous les pères de famille avaient des moustaches parce que le mien en avait. C'était des choses observées, vécues. Je ne sais pas si je mets de l'émotion. J'essaie de faire des personnages et une histoire qui soient le plus justes possible à mons avis. Qu'il y ait des gens qui s'y retrouve, je suis heureux comme tout, mais c'est vrai que tout à coup c'est la vérité des gens comme je peux la percevoir. J'essaie d'être droit et de me dire Comment est-ce que j'aurai réagi ? Qu'est ce qui se passe dans la tête de ce personnage-là ?'. Eviter, au mieux, parce que je pense qu'on ne fait que ce qu'on peut, mais éviter au mieux les clichés. Et mes personnages sont nourris de ce que j'observe, des gens que je rencontre, ou de mes propres questionnements. Les Petits Ruisseaux, le sujet m'est arrivé quand je devais avoir quarante et quelques années, et je me suis dit que j'étais peut-être au milieu de la vie, me demander ce qui se passerait à la fin. Là-dessus j'ai commencé à broder, à 'enquêter', c'est un mot un peu fort, mais voir un petit peu ce qui se faisait dans une maison de retraite. S'apercevoir qu'il y avait des gens qui n'avaient pas eu une vie, mais plusieurs, et qu'à soixante ans tout n'est pas terminé. Il y avait des gens qui avaient envie de rebondir. Mais en même temps c'est dans la plupart de mes bouquins, c'est un thème récurrent. La survie, c'est quelque chose qui est dans tous mes livres. Ibicus c'est une histoire de survie, les Petits Ruisseaux c'est encore ça. Le petit rien tout neuf avec un ventre jaune c'est aussi ça. C'est l'histoire de deux gens qui au moment où ils sont au fond, s'interrogent pour savoir s'il faut tout arrêter ou s'il faut continuer. Simon n'arrête pas de tomber, le personnage n'est pas vraiment sympathique, mais en même temps c'est un humain. Mais il a au moins cette capacité d'avoir une vie chevillée au corps, et dans les moments les plus pénibles, il trouve toujours un coup de talent à donner au fond pour remonter à la surface. Emile dans les Petits Ruisseaux c'est exactement ça. C'est quelqu'un qui à un moment croit qu'il faut qu'il arrête tout, et puis qui retrouve encore l'étincelle qui lui permet de pousser plus haut, de ne pas oublier le passé mais de se dire qu'il peut continuer à écrire son histoire.
Toute personne qui écrit a des thématiques un peu similaires à chaque fois. Au moment où j'ai identifié ça, je me suis dit qu'il fallait faire très attention, et qu'il fallait un peu casser tous mes jouets. Changer de méthode de travail, et que chaque projet ait sa propre écriture, sa propre plastique. C'est à moi de m'adapter et de trouver le meilleur instrument pour parler de l'histoire que j'ai décidé de raconter.

 

Propos recueillis par Elsa.

Actualités
Voir tout
Publications similaires
Abonnez-vous à la newsletter !
Le meilleur de l'actualité BD directement dans votre boîte mail