
Sorti au Japon en 2021, La Maison des Égarées suit deux jeunes filles séparées de leurs familles respectives à la suite d’un cataclysme. Cataclysme qu’on identifie très vite comme étant celui qu’à vécu le Japon en 2011, dans la région de Fukushima et ses alentours. Perdues et sans toit, elles sont recueillies par une vieille dame dans une maison à l’écart du village, ou d’étranges phénomènes commencent à apparaître. En s’installant dans cette maison, elles vont tenter de se reconstruire et de retrouver leur place dans le monde, celui des humains comme celui des esprits.
Le récit est basé sur la légende de la Mayoiga, une maison qui bénit les voyageurs perdus en leur offrant le couvert et la bonne fortune. Et cette maison est loin d’être le seul élément de folklore du long-métrage, les personnages étant très vite confrontés à divers yōkai (esprits et créatures fantastiques des légendes japonaises), mais aussi à des esprits protecteurs bouddhistes. Évidemment, toutes ces créatures ne sont pas bienveillantes … Les légendes et croyances sont ainsi disséminées tout au long du récit, jusqu’à un final franchement épique.
L’animation est jolie, sans être virtuose. En revanche, au gré de contes et de mythes anciens racontés par la grand-mère, des séquences d’animation différentes viennent casser le rythme du récit et lui apporter un vrai dynamisme.
Il est clair que les équipes du film se sont amusées avec ces séquences, en proposant différents rendus visuels : parfois en imitant l’encre de chine, et parfois avec un très joli aspect crayonné et une animation légèrement saccadée du plus bel effet. Les angles et mouvements de caméras en profitent pour s’affranchir des codes suivis pendant le reste du film, et adopter un côté chaotique qui déroute et colle à l’ambiance mystique des histoires en question.

Reconstruction post-2011
La Maison des Égarées est une histoire de reconstruction, à de nombreux niveaux. D’abord à un niveau très concret, avec le re-bâtissement de la ville suite au séisme et au tsunami, et la rénovation de la maison dans laquelle les 3 femmes emménagent.
Mais ce premier niveau ne fait qu’accompagner et souligner la véritable reconstruction, la plus difficile, la reconstruction psychologique après les traumatismes vécus par les protagonistes. Traumas partagés avec le reste de la population suite à la catastrophe naturelle qui a fait tant de victimes et de dégâts, mais aussi traumas personnels, qu’on comprend à mesure qu’on découvre le passé des protagonistes.
Il s’agit enfin de la reconstruction d’une famille, le film développant progressivement de jolies relations entre ces trois femmes qui s’improvisent sœurs, petites filles ou grand-mère.
Le propos sur les catastrophes naturelles et leurs conséquences, à la fois collectives et personnelles, nous fait immanquablement penser aux films de Makoto Shinkai (Your Name, Les Enfants du Temps, Suzume), qui aborde lui aussi ces thèmes en les mêlant à des éléments fantastiques issus du folklore japonais. Sans atteindre les sommets d’animation et d’émotion de son confrère, Shinya Kawatsura soutient dignement la comparaison.
Les thématiques évoquées sont en fait communes à de nombreux cinéastes japonais, en particulier depuis 2011. Le cinéma nippon, qui multipliait auparavant les références et métaphores liées à la bombe nucléaire, suite aux traumatismes d’Hiroshima et Nagasaki, a en partie réorienté son propos sur les catastrophes naturelles après le séisme, le tsunami et les événements qui ont suivi à Fukushima. Une histoire de reconstruction, là encore : que cela concerne la bombe nucléaire ou les catastrophes naturelles, le Japon a depuis longtemps l’habitude d’utiliser le cinéma pour exorciser ses traumatismes.
L’antagoniste de La Maison des Égarées en est un parfait exemple : esprit démoniaque se nourrissant des frustrations et de la peine des survivants, il est l’incarnation de la souffrance post-catastrophe. Souffrance à laquelle les héroïnes vont devoir faire face frontalement pour espérer aller de l’avant.
Même dans ce contexte, le film de Shinya Kawatsura reste un cas particulier, en étant lié aux événements de 2011 de manière encore plus directe : le long-métrage s’intègre en effet dans le “Continuing Support Project 2011+10”, un projet regroupant trois productions d’animation qui se déroulent chacune dans une préfecture touchée par la catastrophe (pour La Maison des Égarées, la province d’Iwate, au nord-est du pays). Le film s’inscrit donc également dans le devoir de mémoire.
Basé sur le folklore japonais traditionnel, La Maison des Égarées a pourtant un lien direct avec les événements bien réels de 2011. Un long-métrage qui aborde avec justesse des thématiques fondamentales en les ancrant dans notre époque, et offre de très belles séquences d’émotion et d’animation.
La Maison des Égarées, Shinya Kawatsura / Les films du préau / Anime
Illustrations : © Shinya Kawatsura / Les films du préau / Anime


