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par Strafeur - le 22/09/2016
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par Strafeur - le 22/09/2016

Planètes : l'odyssée de l'espace

Si vous ne vous êtes jamais extasiés en relevant la tête durant une nuit étoilée, Planètes risque de vous faire changer votre regard sur le plafond de nos vies. Et si vous êtes déjà hâpés par la grandeur de l'espace, Planètes vous offrira l'un de vos plus beaux voyages spatiaux sans avoir à quitter l'atmosphère. 

Vous l'aurez compris, Makoto Yukimura, non content de publier aujourd'hui Vinland Saga, série dont toute la rédac' attend chaque nouvelle parution en tremblant, a signé une autre oeuvre culte dès 1999 en pré-publication et dès 2001 en volume relié au Japon chez Kodansha, le culte Planètes. L'ensemble de cette histoire a été publié chez nous par Panini Manga en 4 tomes jusqu'en 2005 avant que l'éditeur italien ne lui offre une imposante édition intégrale l'année dernière, celle qui nous a servi de matériau pour ce dossier.

Et vous allez voir que les ingrédients expliquant le succès de la série sont nombreux, à commencer par le traitement de l'espace, de son immensité et de la place de l'espèce humaine en son sein, en passant par l'écriture des personnages et leurs intéractions, ainsi que bien d'autres éléments venant étayer toujours un peu plus le récit d'anticipation réaliste qu'est Planètes.  

C'est en 2075 que Makoto Yukimura place le point de départ de son odysée. L'humanité est alors parvenue à s'installer sur la planète Mars (Elon Musk est dans les temps) et la Lune sert alors de base d'étude et de lancement pour des missions d'un nouveau genre. On y suit alors le quotidien d'un certain Hachimaki, jeune japonais devenu éboueur de l'espace désireux d'obtenir sa propre navette pour explorer l'infini à sa guise.  Et c'est là un des premiers points forts de Planètes puisqu'il s'agit d'un récit d'anticipation plausible appuyé par de nombreuses références scientifiques disseminées tout au long du récit, sans envahir pour autant la lecture.

L'espace est également la toile de fond d'un triste portrait de l'Homme par le mangaka qui n'hésite pas à appuyer là où ça fait mal. En effet, malgré la conquête de l'espace, la civilisation reste tournée vers le pillage d'énergie. Ainsi, après avoir réussi à quitter la Terre, le pétrole a été délaissé au profit de l'Hélium 3, nouveau carburant indispensable à l'exploration spatiale, laissant sur le carreau de nombreux pays pétroliers et par conséquent ses nombreuses populations. C'est donc une boucle qui se répète, les problèmes actuels de notre société étant ici portés dans l'espace où Yukimura introduit de nombreuses thématiques sociales. Avec un beau postulat d'équipes spatiales composées d'astronautes du monde entier, l'humanité est dépourvu de ses considérations patriotique pour mieux réfléchir et agir en tant qu'espèce.

Les problèmes écologiques de cette course effreinée à la conquête de l'espace vont alors faire apparaitre des groupes "terroristes" (jugés comme tels par des médias qui n'ont rien à envier aux nôtres) prônant la protection de celui-ci. En s'appuyant sur des personnages forts, l'auteur nous propose un conflit miroir de notre époque, entre des explorateurs prêts à tout pour repousser les limites de notre espèce, quitte à sacrifier des vies, et d'autres se battant pour le respect de l'environnement et naturellement de l'espace où l'espèce humaine n'est qu'un grain de poussière. 

D'ailleurs, l'espace est ici traité comme un personnage à part entière, avec lequel les différents protagonistes entretiennent une relation unique. Et ce n'est pas pour rien que nous suivons une équipe d'éboueurs spatiaux, métier certes peu glorieux, mais indispensable à la survie de l'Homme dans l'infinie frontière. En effet, selon le syndrome de Kessler, la collision de deux objets en orbite (pouvant tout de même atteindre la vitesse de 10km/s) peut entrainer un effet boule de neige via la dispersion des débris entrainant eux-mêmes de nouvelles collisions et ainsi de suite, jusqu'à rentre l'exploration spatiale impossible puisque la Terre se retrouverait bloquée par un champ de débris. La gestion des déchets spatiaux est donc cruciale, une belle leçon à transposer chez nous.        

Planètes se veut comme une ode à l'espace, un récit qui vous fera relever la tête pour contempler la beauté de la voie lactée. Mais ce n'est pas tout puisque la grande force de ce récit est avant tout l'écriture de ses personnages, leurs rapports, leurs évolutions dans le temps et bien d'autres thématiques que Makoto Yukimura a réussi à intégrer avec un équilibre rare au sein de son histoire.

En plaçant son récit au dessus de nos têtes, Makoto Yukimura dépouille les êtres humains de nombreuses considérations individualistes, de sorte que l'avancée de l'espèce peut être perçue comme globale. En composant l'équipage que l'on suit d'un japonais, d'une américaine et d'un russe dans un premier temps, l'unité de l'Homme se fait rapidement sentir. Pour autant, le mangaka insère le groupe des Starworld Guardians, protecteurs et défenseurs de l'espace qui se confronteront à la folle course à l'exploration des êtres humains les moins scrupuleux.

Ainsi, c'est une constellation de facettes de l'humanité qui est représentée grace aux nombreux personnages qui animent ce récit, et plus particulièrement au travers le héros Hachimaki. En effet, nous suivons le jeune japonais un peu après ses grands débuts dans l'espace en tant qu'éboueur, jusqu'à une nouvelle avancée pour l'humanité dont on ne vous dévoilera pas le contenu pour ne gâcher aucune surprise. Cette progression dans le temps et dans l'espace ne se fait pas sans mal, et c'est un véritable voyage intérieur dans lequel on plonge, à la découverte de son propre soi entre questionnement égoïste et autres prises de conscience pouvant redéfinir une personnalité toute entière. 

Une nouvelle fois, l'humain est replacée au centre de l'immensité de l'espace, dressant un portrait arrogant d'une espèce ne cherchant qu'à se battre dans une conquête spatiale qui n'est autre qu'une folle course à l'avancée technologique. Or, c'est au milieu de cet ensemble de données capitales pour la survie d'une civilisation que la leçon nous est donné par un éboueur de l'espace. Si le personnage d'Hachimaki peut paraitre irritant à certains moments, il est nuancé par ses collègues dont l'histoire de chacun est une réelle sous-intrigue permettant à l'auteur d'aborder des thématiques plus humaines justement. De plus, l'avancée du récit dans le temps permet à chacun d'entre eux d'évoluer au fil de l'histoire tissant une véritable trame générationnelle puisqu'Hachimaki passera de l'enfant de Gorô (son père est également spationaute), au spationaute reconnu, avant de se trouver lui même. 

En s'appuyant sur différents retours sur Terre de ces personnages, l'une des particularités et des forces de son histoire, Yukimura n'hésite pas à aborder le thème de la descendance, de la transmission et de la parentalité, faisant de ce récit une oeuvre intemporelle qui cristallise les intéractions et l'aspect cyclique des choses, mais pas que. Comme dit précédemment, Planètes est un récit d'anticipation plausible et très documenté. Ainsi, les différents protagonistes sont parfois exposés à des troubles psychologiques liés à l'espace, et leur retour sur la planète bleue est alors l'occasion de découvrir une facette plus poétique de l'auteur qui introduit alors d'autres (!) messages sur le sens de la vie. 

Planètes, c'est aussi ça, une quête du soi, un questionnement sur le pourquoi de notre existence, notre place dans l'immensité de l'univers et les motivations qui nous animent. Le mangaka n'hésite pas à bousculer les codes moraux, et plus particulièrement ceux du système japonais visant l'excellence au détriment de l'expression des sentiments, pour mieux les exposer à travers des personnages écorchés, dépouillés de leurs attaches terrestes et uniquement focalisées sur leurs objectifs et les membres de leur équipage. 

Paradoxalement, c'est en plaçant l'Homme dans l'espace que Makoto Yukimura le rend plus humain. Débarrassé des contraintes sociétales et de la routine quotidienne, chaque personnage est une personnalité à part entière, vivante, bourrée de sentiments et forte de sa propre volonté. C'est d'ailleurs là un des nombreux tours de force du mangaka puisqu'il parvient à insuffler à l'ensemble des acteurs de Planètes une facette de l'humanité, de la plus lumineuse à la plus sombre, les faisait intéragir ensemble jusqu'à nous livrer un message d'amour dont la leçon risque de vous marquer.

En proposant une projection futuriste de ce que pourrait être l'exploration spatiale, le mangaka dépeint un portrait dur mais juste d'une espèce qui n'a de cesse de répéter les mêmes erreurs sans s'en soucier et sans en tirer la moindre leçon. Un message que l'on retrouve également dans son oeuvre Vinland Saga, qu'on vous invite à découvrir si ce n'est pas déjà fait, dans laquelle l'Amour avec un grand A est une fois de plus le coeur du récit. 

Vous l'aurez compris, la lecture de Planètes est singulière, proposant une vision unique de notre futur et de l'espace en manga, sans en oublier pour autant les questionnements propres à notre espèce. Et des questionements, cette histoire vous en laissera de nombreux, vous invitant à remettre en cause ce qui vous entoure, ainsi que votre perception de la vie, rien de moins.

L'intégrale de ce récit est proposée chez Panini Manga dans un unique volume de 1 040 pages proposé à 35€ et le moins que l'on puisse dire, c'est que l'édition est impeccable. Le format élargi permet de profiter un maximum de l'immensité de l'espace mais également de l'évolution du trait du mangaka qui débutait alors sa première série, et qui passe d'un dessinateur correct au demi-dieu que l'on dévore aujourd'hui. Un indispensable absolu que nous ne pouvons que trop vous conseiller.

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